Exercice d'hostile
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«Le visage s'impose à moi sans que je puisse céder
d'être responsable de sa misère.»
Emmanuel Levinas.
Comment montrer l'inmontrable? Filmer l'infilmable? Làszló Nemez s'est lancé dans un premier film malsain qui résout le silence des camps. Immergé dans l'enfer d'un camp de concentration, le Sonderkommando Saul crée un lien terrifiant avec les victimes. En filmant ses actes de survie, le cinéaste mèle l'horreur d'un souvenir à l'hyperréalisme de la représentation. C'est plus qu'un dispositif expérimental: c'est le partage d'un regard sur la terreur. Il en résulte une poésie brutale qui a la force d'un cauchemard et la boulversante vérité d'un document arraché à la mémoire.
Des corps nus qui s'entassent, sur un sol nu, leurs cervelles et leur sang éclatant sur des murs nus. Tout montrer, c'est le défi que Nemez s'est lancé. Mais est-ce qu'il a réussi à maitriser cette horreur?
Au delà de cette complexité, la technique de mise en scène sert brillament le scénario. On nous présente durant tout le long du film un gros plan dramatique de Saul, la caméra flottant autour de lui sans cesses. La technique de film à la limite du monochrome ajoutée au format étouffant de l'image est très finement maîtrisée. La profondeur de champ est remarquablement bien exploitée, étant réduite à son minimum. Elle nous garde à distance de la violence pour éviter les polémiques, tout en intensifiant l'impact des images cadavériques. L'arrière plan est flou: il n'y a donc aucun horizon pour les détenus.
Le montage brutal limite le film à une ambiance lourde et malsaine. Le réalisateur nous impose une certaine suffocation, notamment à travers les plans-séquences interminables et extrèmement lents qui nous bloquent dans l'horreur et nous placent non plus à la place de spectateur mais à la place de témoin. Devant ce film, on se sent Sonderkommando. Tout comme Saul, on reste impassible et imperturbable devant ces abominations. Les prisonniers de guerre travaillant pour les nazis n'avaient pas le droit d'afficher leurs émotions vis-à-vis du sort des juifs, alors on regarde l'horreur de la Shoa (avec autant de tristesse dans le regard que Saul) sans broncher devant l'horreur. Au bout d'un certain temps, on se prend à ressentir une saturation, un déjà-vu sadique.
Il m'a fallu regarder seulement une demi heure avant de sortir de la salle et de me dire que je n'avais pas besoin de plus en voir pour comprendre que le choc n'arriverait jamais. Tout est artifice, simpliste. Le film devenait trop rébarbatif, et l’errance interminable de Saul dans l'action du camp, qui nous faisait ressentir une expérience vicérale, finit par s’affaiblir au fil de l'histoire. Le réalisateur n'essaye même pas d'intégrer un suspens dans ce camps d'extermination, chaque probabilités d'action sont déjouées par des imprévus, la plupart du temps par les nazis. Le protagoniste lui même n'est pas affecté par cette abscence de dénouement, on est donc rivés vers son histoire et non pas vers l'horreur des camps. C'est une plongée immersive dans ces derniers, un labyrinthe de douleur infini.
Malgré qu'on soit seulement rivés sur Saul, il n'y a aucune identification possible ni aucun lyrisme. On pourrait interpréter le film comme la retranscription d'une réalité historique, on y voit plutôt un certain voyeurisme qui en devient presque malsain. Cependant on ne passera jamais la barre de l'extrème, comme par exemple filmer l'intérieur d'une chambre à gaz pendant la mise à mort.
Pourtant, on nous en montre assez pour imaginer sadiquement ce que l'on ne nous montre pas.
Créée
le 11 févr. 2016
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