Le Flingueur
6.4
Le Flingueur

Film de Michael Winner (1972)

Texte originellement publié le 16/11/2017 sur Revus et Corrigés :
https://revusetcorriges.net/2017/11/16/le-flingueur-1972/


Les apparences sont trompeuses. A l’origine d’un remake éponyme décérébré avec Jason Statham, il y a Le Flingueur de Michael Winner, thriller intellectuel, nihiliste, sous l’influence d’un style taiseux à la Jean-Pierre Melville. Ce même Michael Winner, récemment disparu, assimilé un peu trop facilement à un réalisateur de séries B fascistoïdes, néanmoins cinéaste subtil, raffiné et rigoureux – l’opposé complémentaire parfait qu’il fallait au brutal Charles Bronson. Héritant d’une décennie de films d’actions devenus noirs et paranoïaques, entre John Frankenheimer (et notamment Seconds, du même scénariste) et Don Siegel (L’Inspecteur Harry), Le Flingueur est le paroxysme bronsonien par excellence, pas tant pour ses bagarres explosives, mais bien plus pour toute sa philosophie.


C’est l’histoire – à priori banale – d’un tueur de l’ancien temps, Arthur Bishop (Charles Bronson) qui forme sa relève, Steve McKenna (Jan-Michael Vincent). Schéma vu et revu, dans la série B ou ailleurs, mais qui prend une dimension passionnante à plus d’une reprise : dans l’acte d’ouverture, seize minutes sans dialogue, modèle de mise en scène épurée, parfaitement calculée et réaliste, sur le quotidien de Bishop ; plus tard, la première rencontre avec McKenna, surgissant dans le cadre avec son postérieur au premier plan, bien moulé par les pantalons de l’époque, sous le regard involontairement charmé de Bishop. Certes, Michael Winner n’embrasse pas pleinement la dimension homosexuelle de son film (au grand dam de son scénariste Lewis John Carlino), faute d’un Bronson qui n’aurait jamais accepté (et qui avait pouvoir de vie ou de mort sur le film), mais il dissémine suffisamment d’indices, dans le filmage ou le ton, pour façonner cette relation particulière entre le maître et sa recrue. Il n’y a pas d’explication véritablement rationnelle sur pourquoi Bishop s’entiche à ce point-là du jeunot, si ça n’est, peut-être, le ras-le-bol de l’isolement dû à son métier. Ils entretiennent par ailleurs un rapport particulier aux femmes : McKenna n’est guère préoccupé par la vision de son ex en train de se taillader les veines, quand Bishop se paie une sorte d’expérience amoureuse totalement fictive avec une prostituée (incarnée au passage par Jill Ireland, femme de Bronson, imposée par ce dernier).



Le Flingueur agit comme un film de passeur, mais aussi témoin d’une
incompatibilité, d’une forme d’échec général, celui de l’ancienne
génération comme celui, d’ores et déjà programmé, de la nouvelle.



il y a une sorte d’admiration mutuelle entre les deux hommes, à base de “je t’aime moi non plus”, rendue éventuellement davantage ironique par le fait que Bishop soit l’assassin du père de McKenna. Drôle de manière d’entamer ce pacte transgénérationnel, qui concerne autant les personnages que les acteurs, entre Charles Bronson, ex-mineur de fond, misanthrope et avare, et Jan-Michael Vincent, idole pour la génération de la contre-culture, bientôt (si ça n’est même déjà) paumé en passe de sombrer à tout jamais dans la drogue. Le Flingueur agit comme un film de passeur, mais aussi témoin d’une incompatibilité, d’une forme d’échec général, celui de l’ancienne génération comme celui, d’ores et déjà programmé, de la nouvelle. Comme, quelque part, une manière d’annoncer le carton à venir sur des jeunes désœuvrés dans le bien fascisant Le Justicier de New York, du même Michael Winner, avec le même Charles Bronson. Mais sous couvert de scènes d’action peu inventives au-delà de sa grandiose introduction, certainement la faiblesse du métrage, Le Flingueur est tout à fait capable de surprendre et duper, comme il a dupé Charles Bronson lui-même, se projetant tellement dans son personnage qu’il n’en voyait plus le fond psychologique, se contentant d’être – brillamment – ce mécanicien (du titre original The Mechanic) du meurtre. Les apparences sont bel et bien trompeuses…


Le Flingueur ressort en vidéo, DVD et blu-ray, édité par Wild Side dans une édition assortie d’un livret de 86 pages signé Samuel Blumenfeld, toujours riche en anecdotes sur le film, et sur le véritable “personnage” Charles Bronson, et deux compléments vidéo : “American Samourai” (30’) revenant sur Charles Bronson, et “Hired Han : l’homme de main” (10’) à propos de Monte Hellman qui aurait dû originellement réaliser le film.

ltschaffer
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Créée

le 18 nov. 2017

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Lt Schaffer

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