(Contient quelques spoilers sur des évènements importants du film)


Alors c'était aujourd'hui mon deuxième visionnage de ce film. Trois mois après, toujours aussi grand, aussi chargé en émotion, c'est rare les films qui te prennent autant, même plus qu'à a première fois, et surtout avec un premier visionnage aussi proche...


Ce que je trouve assez fou dans ce film c'est la précision dans les détails, il ne manque rien, lorsque le braquage est fait, après l'obligatoire scène d'extase à base de cris, de sourires, de commentaires des deux habitués ("ils sont content c'est bien", "Ils ne s'attendaient pas à ce que ça soit aussi facile"), on ne passe pas à complétement autre chose, ou encore à une scène de découverte du butin, on a le droit à une scène de changement de camionnettes, de voir l'équipe qui les y attend, c'est con, mais ça donne un côté terre à terre, concret à l'action. Déjà ça s'inscrit dans une démarche très matérialiste, si il se passe quelque chose, c'est parce qu'il s'en est passé d'autres avant, rien, absolument rien ne coule de source. De même, quand Monsieur Ponce part chercher son fusil, on le voit, le pas lourd, aller à sa cave, ouvrir le cadenas qui bloque la porte, prendre la boite du fusil, sortir de la cave, refermer le cadenas, remonter l'escalier, puis on le voit essayer le fusil dans différentes directions pour être sur qu'il en est toujours capable. C'est pas grand chose, certes, mais ça participe au réalisme absolu du film, contrairement à d'autres films, chaque chose qui se passe est crédible, et ce, même si on sort de la diégèse du film.


Ce procédé permet aussi de donner des scènes particulièrement déchirantes : lorsque la femme va au parloir voir son mari (Bébé) emprisonné, elle laisse ses enfants au voisin, et on assiste là au moment le plus troublant et affreux de l'année. Le voisin, Monsieur Ponce, qui sait ce qu'il se passe, qui sait que 6 ou 7 de ses amis sont morts, qui sait que les enfants grandiront surement sans leur père, mais qui leur propose de faire de la pâte à crêpe. Nous, spectateurs, à peine remis de la dureté de la scène de fusillade, d'avoir vu l'assassinat froid et cruel de personnages qu'on aimait, on est confronté à cela, un moment qui se place à l'échelle humaine, qui cadre simplement quelqu'un faire de la pâte à crêpes avec deux gamins. Sans le contexte de la scène il n'y a rien, rien du tout, mais dans le montage, à cet instant précis, le choc est ignoble. L'émotion nait et les larmes coulent.


On assiste aussi au système qui broie les indésirables, les "outsiders", si l'on s'attaque aux dominants, aux bourgeois, presque à l'Etat en place (RAZ avait dit à l'avant première qu'il représentait bien "Ceux contre qui on se bat" avec le prince saoudien), on sera broyé, on sera tué. Même celui qui semble bien parti pour passer plusieurs années à l'ombre, se fait assassiner froidement sans contexte, par un homme, qui est presque une apparition (il n'est jamais montré en train de courir pour le tuer, simplement il arrive dans le champ, le poignarde et se casse avec un grand sourire).

On remarque par ailleurs la différence entre les deux assassinats du film : d'un côté celui de Bébé à la prison par un détenu, de l'autre, celui du prince saoudien par monsieur Ponce. Pour le détenu, rien n'est précisé, deux secondes suffisent, or, comme on l'a établi, RAZ aime le détail. Il ne détaille pas cette scène pour une raison simple : cet assassinat n'est pas un acte isolé, c'est une conséquence pure, tu braves le système, tu te fais tuer. C'est simple clair et net. Pas besoin de s'y attarder. Quoiqu'il arrive tu te feras broyer, tu n'auras plus le droit à vivre ici. La platitude de la mise en scène le montre, pas d'effets de style, le plan est filmé comme le reste de la scène dans la cour de la prison, à hauteur d'hommes, sans plans spécialement rapprochés, ni spécialement éloignés. L'horreur ressort d'autant plus par la froideur du meurtre.

Du côté de l'assassinat du prince saoudien, il montre la préméditation, montre quand Ponce va chercher l'arme, il le filme en train d'observer le prince qui va au musée, qui va en boite (donnant par ailleurs lieu à une des plus belles scènes de ce genre) et qui va aux courses de chevaux. Lors de l'assassinat on le filme en train de bien viser, de bien se préparer, puis le coup de feu, un écran noir (assez rare chez RAZ, la scène se démarque particulièrement). Ici il ne filme pas un acte de la règle, un acte du système qui écrase le peuple, mais un acte révolutionnaire, qui relève donc de l'exception. C'est aussi un peu ça en fait faire un film engagé, au delà de filmer des travailleurs comme dans dernier maquis, c'est travailler sa forme pour implicitement, par le montage, par le choix de la manière dont on filme, montrer ce qui est un acte exceptionnel, et ce qui n'en est pas un.


Toujours le côté étouffant des cités, le ciel, ne faisant que des caméos dans le coin de l'écran (ce côté claustrophobe définitivement voulus par RAZ, il en jouait déjà dans Wesh Wesh, et utilisait le procédé dans dernier maquis, avec les palettes rouges cachant toujours le ciel).


Je rajoute un mot sur la fin du film, qui, de la même manière que dernier maquis, arrive à ne pas se finir sur le moment de jouissance (ici l'assassinat du prince saoudien, dans dernier maquis, le patron absolument exécrable qui se fait tabasser) mais qui garde en tête le côté humain, se finissant sur Monsieur Ponce regardant la verdure et des enfants en train de jouer dehors.


Je n'ai pas grand chose à développer sur ce point mais RAZ est un mec qui, je n'arrive pas à comprendre comment, est capable de cristalliser une amitié, la rendre véritable et ultra crédible en trois plans (le fait de filmer uniquement ses potes doit aider je pense, mais il y a ce quelque chose sur lequel je n'arrive pas à mettre le doigt).


Bref, grand film, grand film politique, de belles émotions. Le meilleur film de l'année pour moi actuellement...


McTrobo
10
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le 11 sept. 2023

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McTrobo

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