En cette première partie d’année chargée en animation (de Zootopie à Anomalisa), il aurait été anormal que le Japon ne parvienne pas à tirer son épingle du jeu. Après la révérence du studio Ghibli l’année passée, c’est avec l’un de ses maîtres les plus prometteurs que l’archipel se manifeste : Mamoru Hosoda. Le réalisateur dores et déjà adulé des Enfants Loups revient avec Le Garçon et la bête, penchant plus musclé de son précédent film mais pourtant habité par la même brillance.


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A 48 ans, Mamoru Hosoda s’est définitivement imposé comme l’un des auteurs majeurs de l’animation japonaise. Après avoir réalisé des longs-métrages dérivés pour les séries Digimon puis One Piece et un bref passage chez Ghibli, Hosoda ne peut vraiment s’exprimer en toute liberté pour la première fois qu’au sein du studio Madhouse, qui lui offre la possibilité de réaliser La Traversée du temps et Summer Wars. Le premier est une astucieuse histoire de manipulation du temps sur fond de lycée japonais tandis que le second met en scène des guerres virtuelles entre avatars imaginaires et est un remake plus ou moins inavoué du second film Digimon (déjà réalisé par Hosoda donc).


Cependant, la renommée internationale qu’il connaît actuellement est sans doute due à son sixième film : Les Enfants Loups, Ame & Yuki. Première production du studio fondé par Hosoda, le Studio Chizu, cette fable contant les tribulations d’une mère contrainte d’élever seule ses deux enfants mi-hommes/mi-loups marque les esprits par la simplicité, la beauté et la mélancolie de son récit. La réussite totale et la couverture médiatique respectable du film consacrent Hosoda. Au sein de l’animation japonaise, entre les vénérables maîtres retraités (Miyazaki), ceux dont on ne sait pas s’ils feront encore des films (Isao Takahata, Mamoru Oshii, Katsuhiro Otomo) ou bien les plus jeunes, prometteurs mais n’ayant pas encore totalement fait leurs preuves (Keiichi Hara, Makoto Shinkai), Mamoru Hosoda semble incarner la relève idéale, capable de canaliser l’influence de ses prédécesseurs tout en s’inscrivant dans une approche véritablement personnelle et sincère.


Le Garçon et la bête, c’est l’histoire de Ren, garçon orphelin errant dans les rues de Tokyo et découvrant presque par hasard un portail donnant sur un autre monde : le monde des bêtes, peuplé de créatures anthropomorphes et au fonctionnement pas si éloigné du Japon féodal. Il y fait la rencontre de Kumatetsu, un homme-ours bagarreur, habile combattant mais négligeant et grognon. Malgré leurs deux caractères très tranchés, le guerrier décide de prendre l’enfant sous son aile et d’en faire son disciple. Le récit suit alors l’étrange alliance du garçon et de la bête, à mesure que l’élève et le maître grandissent, s’entraînent et surtout resserrent leurs liens. Hosoda s’inscrit donc dans un genre bien différent de ses Enfants Loups : il est ici question de mondes parallèles, d’affrontements de clans et de combats pleins de virilité. Quelque part, le réalisateur retrouve ses premières amours et l’orientation “anime d’action” prise par ses longs-métrages dérivés de licences fortes (Digimon et One Piece) et poursuivie dans le gigantesque défouloir qu’était Summer Wars. On aurait presque pu parler de régression, mais ce serait sous-estimer le talent insoupçonné du cinéaste japonais.


Là où il aurait pu en effet se contenter de reprendre des codes éculés dans une oeuvre bien animée mais peu consistante, Hosoda parvient au contraire à ré-insuffler toute la force émotionnelle des Enfants Loups dans un film qui, en apparence, s’y prêtait pourtant moins. Car l’essentiel ici, ce ne sont pas tant les joutes, spectaculaires mais finalement assez peu nombreuses, mais bel et bien les personnages et la relation père/fils ambiguë qui éclot au fil des images entre Ren et Kumatetsu. Malgré leurs origines respectives, élève comme maître se révèlent bien plus semblables qu’il n’y parait au premier abord, unis par leur nature de parias et leur tempérament agressif. On retrouve donc avec bonheur ces instants de vie quotidienne, ces scènes souvent sans paroles et bercées par la musique, où l’on voit simplement évoluer les protagonistes au gré des saisons, puis des années. Hosoda colore le monde qu’il crée d’une série d’hommes-animaux aux apparences et personnalités diverses, tous plus nuancés qu’au premier abord et jouant tous un rôle plus ou moins essentiel au récit, et dresse ainsi un véritable univers, cohérent et prenant, au sein duquel peuvent exister ses protagonistes principaux.


Le Garçon et la Bête n’incarne non pas un retour à un style plus rudimentaire mais bien une véritable continuation de ce que le réalisateur entreprenait dans Les Enfants Loups. Les deux films forment un véritable diptyque construit autour de la question de la parentalité, Hosoda s’attaquant ici à la figure du père après avoir traité celle de la mère. Le traitement thématique demeure propre à chacun des films : Les Enfants Loups se concentrait avant tout sur la difficulté d’une mère seule à élever sa progéniture en bravant tous les obstacles que la vie mettait sur son chemin. Le Garçon et la bête, quant à lui, interroge le concept même de parentalité en mettant en parallèle un père biologique absent et un “faux” père dont la relation avec l’enfant recueilli finit par transcender les limites du lien du sang.


Pour autant, la question centrale des deux films reste la même : celle des choix, hésitations et tiraillements liés à la nécessité de grandir. Dans Les Enfants Loups, Ame et Yuki, tous deux enfants-loups, sont chacun amenés à choisir une voie qui leur est propre en reniant une partie de leur être (la moitié humaine dans un cas et la moitié louve dans l’autre). Dans Le Garçon et la bête, Ren est également confronté à un dilemme, pris entre le monde des hommes, qui l’a vu naître, et le monde des bêtes, qui l’a reccueilli. Ainsi, après une première partie bestiale très bariolée, le film propose un second acte plus calme, synonyme du retour à la ville et également de romance pour le jeune héros. La rencontre entre Ren et la belle et discrète XXX permet à Hosoda de changer quelque peu de registre, tout en gardant la même justesse et la même évidence dans sa manière de dresser des relations fortes entre ses personnages. Son sens de la mesure et de la simplicité permet au réalisateur d’éviter les écueils des romances fleur bleue typiques d’une certaine frange de l’animation japonaise, pour ne conserver que la beauté dans ce qu’elle peut avoir de plus universel.


Toujours très équilibré dans son traitement, le film se perd toutefois légèrement dans un dernier acte loin d’être inintéressant mais cédant à une symbolique facile pour imprégner son message sur la rétine de l’audience. Un reproche aisément pardonnable vu la générosité globale du reste de l’oeuvre, mais c’est peut-être là que le film révèle ses minces limite et s’empêche d’accéder au même statut que la précédente création du cinéaste.


Difficile de parler d’animation japonaise sans aborder des considérations purement formelles. Le Garçon et la bête est servi par une animation de haute volée, fluide, donnant de l’ampleur au mouvement, capable de grandes envolées mais aussi de s’effacer lors des scènes plus minimalistes, où Hosoda laisse parfois de simples plans fixes et dénués de mouvement exprimer toute leur force tacite. Les couleurs sont superbes, les décors pour la plupart à tomber et certaines scènes sont tout simplement bluffantes, comme le spectaculaire climax. Le film cède en revanche de manière assez malheureuse à la mode du “tout-CGI” en utilisant de manière abondante l’animation par ordinateur dans ses arrières plans, et notamment pour illustrer les mouvements de foule. Les effets se remarquent généralement assez peu, le focus étant la plupart du temps sur l’avant-plan et les personnages principaux eux bel et bien animés en dessin traditionnel, mais jurent malgré tout plus d’une fois avec la cohérence visuelle de l’ensemble. Rien de très grave mais cela devient hélas pratique courante dans la japanimation.


Si Les Enfants Loups fut la consécration de Mamoru Hosoda, Le Garçon et la bête est la confirmation définitive et absolue que le japonais fait définitivement partie des auteurs d’animation majeurs, de ceux capables de transposer avec efficacité et sincérité leurs obsessions dans un éventail de genres varié, trouvant un équilibre salvateur entre sensibilité et spectaculaire.

Yayap
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le 31 mars 2016

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