C'est une sorte de fatalité, comme dans la mythologie grecque.
Plus on vieillit, plus il est difficile de se prendre des claques artistiques en pleine figure.
Normal.
Mathématique, même.
Seulement il existe une contrepartie, par chance. Car plus on vieillit, plus les claques qu'on prend sont violentes, plus elles nous chauffent les joues.
Pour ne pas dire le coeur.
Si bien qu'on n'y perd pas au change.
Prenez le Garçon et la Bête, par exemple.
A lui seul, il confirme que Mamoru Hosoda n'est pas le digne successeur de Miyazaki, ainsi qu'on le raconte.
Puisqu'il le surclasse en tous points.
Ce n'est pas nouveau, mais ça se confirme à chaque nouvelle oeuvre : ses films représentent (de très loin) ce que l'animation japonaise a de meilleur à offrir, des derniers soubresauts de qualité dans un océan de médiocrité cellophané pour vendre du polochon lavable à 30 degrés.
A mi-chemin entre Summer Wars et les Enfants Loups, le Garçon et la Bête n'en éblouit que plus.
Loin de n'être qu'une très très belle fable, abordant des thématiques d'une surprenante modernité, ou un petit bijou d'animation régalant la rétine, le long métrage est avant tout une pièce d'orfèvrerie, un chef d'oeuvre de storyboarding pensé au silence près. La précision, la finesse, la subtilité de l'écriture s'allient à celle de la mise en image, d'une virtuosité discrète que peu d'auteurs seraient à même d'imiter.
Pour qui possède une certaine culture de l'écrit, doublée d'une vraie curiosité intellectuelle, le film se lit comme une partition dont l'auteur aurait su choisir, à chaque note, non la plus évidente ou la plus inspirée mais la meilleure, jusque dans la simplicité.
Une telle maîtrise, une telle justesse, ça se fait tellement rare que j'en suis sorti renversé.
Les apparences sont trompeuses, pourtant : à première vue, le cinéma d'Hosoda a l'air aussi accessible que celui de Miyazaki, où la poésie est d'une beauté lisse et où le sens est livré clé en main. Cependant au-delà des adjuvants comiques ou des petites créatures mignonettes (dispensables), son travail est loin d'être à la portée d'un public aussi large. Aussi n'est-ce un hasard si son film le plus encensé est également le plus conventionnel (les Enfants Loups, dont l'authenticité touchante manque toutefois de folie ou d'originalité).
Par conséquent, pour être apprécié à sa juste valeur, le Garçon et la Bête demande également une culture de l'animation, une forme d'exigence intellectuelle qui ne limitera pas le champ du merveilleux au seul Harry Potter (si intéressant soit-il par ailleurs).
Là où Miyazaki servait sa poésie sur un plateau tantôt or et tantôt plaqué, Hosoda demande à son spectateur qu'il vienne la chercher, qu'il s'en saisisse à la volée. Il sculpte l'intérieur et joue du non-dit, au lieu de tout étaler en surface.
Mieux encore, il ne cède jamais (ou très peu) au diktat de l'establishement dramaturgique, brodant ses propres histoires à son propre rythme et selon ses propres règles - si bien qu'elles n'en sont pas prévisibles (ou bien elles ne le sont que lorsqu'il les désire ainsi, lorsque ce "prévisible" fait sens, et c'est exactement l'étoffe dont est fait le Garçon et la Bête).
S'arrêterait-on à son premier degré qu'on pourrait le trouver grossier, ou naïf, ou banal - alors que c'est notre regard de spectateur, qui le serait, parce qu'on ne saurait pas regarder.
Au contraire, quel bonheur de se retrouver assis devant un film dont on ne peut deviner la structure une heure trente à l'avance, à la merci d'un scénariste surdoué et de ses envolées lyriques toutes en nuances et en retenue.
Là où un Makoto Shinkai s'enlise dans ses obsessions esthétiques, hélas, Hosoda parvient à conserver sa patte (c'est de circonstance) tout en abordant des univers et des trames sensiblement distinctes, sans jamais se renier, ni se contredire. Toujours en se prolongeant, en s'enrichissant.
Et c'est là la marque des plus grands.