Depuis une dizaine d'années, Mamoru Hosoda trace son chemin dans le cinéma d'animation japonais, construisant pas à pas son oeuvre unique, croisant le monde animal et celui de l'homme. Il tente de faire des ponts entre ces deux univers qui se ressemblent plus qu'on ne le croît. Alors que The Lobster pouvait être analysé en tant que symbole du spécisme ordinaire, réduisant les animaux à des êtres errant, sans sentiments, sans formes d'intelligence, sans vie si ce n'est celle qu'on leur accorde. Ici, Le Garçon et la Bête met au même niveau l'Animal et l'Homme, comme si finalement notre incompréhension commune était de ne pas comprendre l'autre, de s'en méfier, marginalisant nos ressemblances.
Ces barrières symbolique et matérielle que Mamoru Hosoda construit, entre ces deux mondes, d'un côté Shibuya, le monde des humains, et Jutengai, le monde des Bêtes, disparaissent peu à peu quand on s'intéresse à ce qui nous réunit. En réinscrivant l'Animal (la Bête, l'Ours Kumatetsu) et l'Homme (l'humain, Ren, Kyuta) à un même niveau, sans questionner nos différences physiques, on s'intéresse davantage aux individus, à leurs émotions, à leurs sentiments, à leurs comportements ou encore à leurs caractères. En choisissant des Êtres aux formes distinctes, il nous permet de manière paradoxale d'oublier ces différences physiques qui importent finalement tellement peu.
L'animateur nous parle de deux êtres que tout énerve, que tout agace, incapables de s'entendre parce qu'ils sont finalement trop proches, trop semblables. Deux âmes esseulées en quête identitaire, qui se cherchent et cherchent un maître, un disciple. Alors que Kumatetsu se doit de trouver et de former un disciple pour aspirer à devenir le seigneur de Jutengai, il trouve en "l'humain" Ren, qu'il rebaptisera Kyuta, comme son âge (neuf ans), cet apprenti qu'il cherchait et qui lui permet de se construire une identité, de faire la paix avec une enfance douloureuse, seule, triste. Il trouve en Kyuta un fils, quand ce dernier trouve en Kumatetsu un père, une figure paternelle, un modèle, qui comble peu à peu ce vide, ce néant, laissé par le décès de sa mère et par l'abandon de son père.
Ces deux êtres se trouvent et comblent peu à peu le vide de l'absence, de l'abandon. Plutôt que de détruire, de repousser, ils vont se (re)construire l'un et l'autre dans une identité commune, jouant à tour à tour les rôles de maître et de disciple, de professeur et d'élève, de père et de fils. Ils apprennent ensemble ce qu'est qu'être, de vivre, d'exister. Ils apprennent ce qu'est l'amitié, l'amour, ce sentiment d'importer pour quelqu'un, de compter pour autrui. Ils apprennent à accepter qui ils sont, à comprendre ceux qui les entourent, et à se concentrer sur les choses positives. La vie est trop courte pour en vouloir aux autres quand finalement on en veut à soi-même.
Pour paraphraser Herman Melville et son oeuvre Moby Dick, que Mamoru Hosoda mobilise, c'est en regardant dans les yeux du garçon, de la bête, que nous comprenons qui nous sommes, que nous apprenons à nous connaître et à s'ouvrir à l'autre. "Les yeux d'un Être, c'est un miroir, des lunettes magiques" vers la compréhension de soi-même et d'autrui. C'est ce que fait pendant 120 minutes l'animateur, et de fort belle manière.