Le Garçon et le Héron est dans la lignée du précédent film d'Hayao Miyazaki, Le Vent Se Lève, c'est-à-dire un film hanté par la guerre, la séparation et le deuil. C'est aussi un film qui ressemble en de nombreux point au Voyage de Chihiro et donc à Alice au pays des merveilles, mais l'aspect conte merveilleux, ou conte de fées, ne fait son apparition que dans la deuxième partie du film. Les films qui développent des univers fantastiques comme Le Château dans le ciel, Princesse Mononoké, Le Voyage de Chihiro ou Le Château Ambulant, ont fait le succès du studio Ghibli pour leur originalité et leur univers féérique fascinant, mais la souffrance qu'on voit dans les deux derniers films d'Hayao Miyazaki et l'héritage qu'il semble vouloir laisser à travers eux, portent des messages beaucoup plus sombres ... mais pas moins magnifiques, pour autant !
Les cinq premières minutes du film sont une véritable claque en terme d'animation. Le traitement du feu et des ombres est superbe. En terme d'animation pure, c'est assez proche de ce que nous avait proposé Isao Takahata avec son dernier film Le Conte de la princesse Kaguya. Ensuite, on revient à une animation plus classique à la Hayao Miyazaki. C'est alors que le film aborde le thème du deuil et prend vraiment son temps pour installer tous les tenants et aboutissants du récit. Ceci étant dit, voir un film d'Hayao Miyazaki c'est aussi s'émerveiller devant son univers féérique et nimbé de surnaturel. Alors devoir patienter presque une heure avant de voir ne serait-ce le début du commencement d'un univers fantastique, c'est un peu long. Une fois la première moitié du film passée, les messages et les intrigues s'additionnent, puis disparaissent sans véritable résolution. On se retrouve à la fin avec un sentiment mitigé, accentué par un final abrupt qui semble vraiment trop précipité. En même temps, c'est un peu la marque de fabrique du maitre de l'animation japonaise. Tous ses films se terminent de façon précipitée et c'est à vous d'imaginer la suite.
La première partie du film se concentre sur le deuil de Mahito. C’est lent, parce que c’est pensé pour être lent et froid. Ensuite, passé la première heure de film, on plonge dans un rêve avec son lot de joies et de peines. Mais Il est vrai que la fin donne une sensation d'inachevé, car on se pose encore beaucoup de questions, notamment sur le devenir du monde des morts, de l'entité qui était derrière le portail ouvert par les pélicans, savoir qui va reprendre la relève et si quelqu'un va reprendre la succession de l'oncle. Et puis, la mère de Mahito est-elle vraiment morte dans les flammes ? La version plus jeune de sa mère dit clairement que le feu ne lui fait rien et qu'elle n'a rien à craindre des flammes. D'ailleurs Mahito ne sait pas qu'elle est en réalité sa mère, ce qui rend le final encore plus émouvant.
Il y a plein de petits détails qui semblent anodins au premier abord, mais qui ont leur importance, à commencer par le kimono de la belle-mère à motifs de flèches, les grands-mères qui ressemblent à des divinités avec leurs grosses têtes, la pierre avec laquelle Mahito se blesse qui fait écho au cœur de pierre du monde, son sang qui rappelle la confiture qu'il mange goulument ... et l'image du héron qui représente la partie sombre qui nous habite, le masque social et même la monstruosité à l'intérieur de nous, évoqué aussi avec le poisson qu'il ouvre et donc la mortalité qui nous habite. Et au final, un mystère demeure, ou tout du moins pour moi, c'est la belle-mère qui tombe malade. Subit-elle un épisode dépressif prénatal ou une est-ce une fausse couche ? Pourquoi se rend-elle dans la tour ? Pourquoi dit-elle qu'elle déteste Mahito ? Le personnage de la belle mère reste une énigme pour moi !
Il y a aussi beaucoup de citations/clins d'œil aux autres œuvres de Miyazaki. Lorsque Mahito et le héron marchent dans une forêt aux grands arbres et passent à coté d’un plan d’eau, ça m'a tout de suite fait penser à Princesse Mononoké avec la forêt et les esprits qui y vivent. On a aussi la maison de sa mère ainsi que ses pouvoirs qui font penser au château ambulent, le passage dans la mer qui rappelle Ponyo sur la falaise, ou les créatures qui s'envolent dans le ciel qui font penser au Voyage de Chihiro. Ce sont plus des sortes de clins d’œil, que de véritables citations littérales. Ce sont des petits éléments narratifs qui se rajoutent les uns aux autres et qui donnent de l'épaisseur au récit et ça joue aussi beaucoup sur l’ambiance du film. Et il ne faudrait surtout pas croire que ces clins d’œil sont gratuits. C'est clairement un monde à l'image du grand oncle qui est l'incarnation d'Hayao Miyazaki lui-même.
Généralement, j'aime surtout les films d'Hayao Miyazaki pour leur univers féérique, mais ici j'ai beaucoup plus aimé la première partie du film plus réaliste sur les trauma de Mahito et ses difficultés à accepter sa nouvelle situation. Il y a aussi le parallèle entre le grand-oncle mourant qui ne trouve pas de successeur à sa tour et Miyazaki qui cherche une succession pour le studio Ghibli, qui est très intéressant, mais qui arrive trop tard dans le film (à la toute fin). Et puis, ce monde surnaturel m'a beaucoup moins émerveillé que ceux du Château dans le ciel et du Voyage de Chihiro (mes deux Miyazaki préférés). D'ailleurs, le film souffre beaucoup de la comparaison avec le Voyage de Chihiro qui est non seulement un peu plus dingue dans son univers, mais aussi plus clair dans sa narration et avec des personnages plus attachants.
Alors certes, Le Garçon et le Héron ce n'est certainement pas un film parfait, ou tout du moins pas très attachant. Les thématiques chères à Hayao Miyazaki y sont bien présents (le traumatisme, la guerre, la relation à la mère, l'aspect sauvage de la nature et son rapport à l'homme ...), mais les personnages (pour la plupart) ne suscitent pas suffisamment d'empathie en moi et le récit est un peu trop brouillon. Sinon, pour aborder plus sereinement le film, il faut apprendre à lâcher prise (Porco Rosso nous y avait déjà habitué à son époque) et se dire qu'à son âge et avec sa réputation bien établie, Hayao Miyazaki fait bien ce qu'il lui plait maintenant. Quant à la pure logique du film, je pense que parfois il faut simplement se laisser porter par la beauté de l’œuvre.