A la sortie du film au Japon, aucune promo n'a été faite, une simple affiche crayonnée, accompagnée de ce titre "Kimi-tachi wa dō ikiru ka (Et vous, comment vivrez-vous ?"). Les spectateurs japonais se rendaient donc dans les salles obscures complètement à l'aveugle. Et je pense qu'une partie de la déception de certains fans français réside dans cette attente au regard du synopsis, des premières images et des trailers déjà dévoilés, au moment de la sortie française.
En lisant une critique, je voyais une spectatrice se plaindre de ne pas avoir pu s'identifier à Mahito dans la façon de surmonter un deuil, elle disait avoir la sensation d'être face à un film inachevé... Mais c'est là qu'il faut se rappeler le titre original : "Comment allez-vous mener votre vie ?", le titre invective directement le spectateur , et pas avec un "vous" de politesse, mais de groupe : chacun d'entre vous, comment avez vous choisi de mener votre vie ?
Ainsi, on comprend que le sujet du film est bien plus large que le traitement du deuil, qui ne constitue qu'un fragement ! Il ressemble plus à un ensemble de leçons de vie.
Le héros, un jeune garçon d'environ 10 ans, doit faire face à un événement dramatique en effet, mais à travers ce point de départ, c'est l'occasion de traiter d'une foule de sujets.
C'est cette abondance de thématiques qui peut donner au film cet aspect un peu décousu, et décontenancer certains spectateurs occidentaux encore une fois. Bien trop habitués à une structure de récit en trois actes calée sur le monomythe de Joseph Campbell, sur le format : crise, conflit et résolution.
A l'inverse, la littérature japonaise (et chinoise dont elle est pour partie issue) s'articule autour du récit en 4 actes ou ki (introduction), shô (développement), ten (renversement et climax), ketsu (conclusion). Souvent la conclusion, ramène le personnage au point de départ, ce qui peut créer cette frustration chez le spectateur, qui est habitué au développement toujours croissant du personnage . Mais comme vous avez déjà du le remarquer, dans la vie, vous n'évoluez pas constamment à chaque instant. On a cette tendance dans la dramaturgie moderne à juger une bonne histoire selon si les personnages ont évolué ou non.
Dans "Le garçon et le Héron" (titre, encore une fois, assez mal choisi qui fait croire à un récit d'aventure genre "Boule et Bill" mais bon passons), Mahito est effectivement assez peu caractérisé. Et ce choix fait sens par rapport au message que veut transmettre le film. Faire du personnage principal une page blanche sur laquelle chaque spectateur peut venir tracer sa propre histoire, sa propre façon de vivre. Shigeru Miyamoto avait expliqué avoir utilisé la même technique pour Link, le héros des jeux Zelda, tout comme lui, Mahito parle très peu au début du film, de sorte à ne pas forcer une personnalité dans l'esprit du joueur/spectateur.
On est également surpris de ne pas retrouver la typique héroïne femme forte au caractère bien trempée comme à l'accoutumée. Mais encore une fois, ce type de personnage gravite autour du héros influe sur ses actions et sa réflexion.
Toutefois, Mahito n'est pas dénué de personnalité pour autant, on nous le dépeint assez tôt comme un garçon assez droit, avec des principes. Même si il ne porte pas sa tante dans son cœur, il sait que la chose juste à faire est d'aller la sauver. Dans le monde de la tour, après avoir entendu l'explication du Pélican agonisant sur le principe de chaîne alimentaire, Mahito décide finalement de lui accorder une sépulture décente. Même si dans la scène précédente on nous l'avait présenté comme "le méchant" car il se nourrissait des adorables créatures nommés "wara-wara". Peut être une des leçons les plus évidentes du film sur le non manichéisme qui régit notre monde.
Un héros droit mais pas pour autant parfait, on le voit dès les premières scènes se faire volontairement une blessure à la tête afin d'éviter d'avoir à retourner à l'école à laquelle il a du mal à s'acclimater... C'est cette "malveillance" qu'il porte en lui qui le conduit à refuser la proposition de son aïeul de prendre sa suite à la direction du monde de la tour. De quel droit me placer en démiurge alors je suis moi même un humain faillible ? La tâche qui lui est demandé est d'ailleurs elle-même absurde : Rajouter une pièce à l'édifice tout en maintenant l'équilibre d'un monde déjà au bord de l'effondrement.
Alors évidemment, beaucoup y ont vu la lecture du Miyazaki démiurge de Ghibli incapable de trouver un successeur dans sa propre lignée. Et il est vrai qu'arrivé à ce stade de sa carrière, il y a tellement de références au studio Ghibli, à la vie personnelle (personnage du père du héros semble au père de Miyazaki), et professionnelle du maître ; que le film dépasse le méta-texte pour être presque autobiographique.
Au final, il reste encore beaucoup de zone de floues dans ce film : les poupées mamies talismans, Himi qui a la même cicatrice que Mahito,... A mon avis, il ne faut pas chercher à tout expliquer, et surtout se laisser le temps de digérer le film avant de formuler un avis définitif. Le métrage peut sembler déroutant par rapport à un Chihiro ou un château dans le ciel, et quand on sait que Miyazaki a lui même déclaré qu'il n'avait pas tout compris non plus, il faut faire la paix avec le fait que certains films ne sont pas fait pour être entièrement compris.
Enfin pour une dernière partie, j'aimerais attirer votre attention sur des aspects plus techniques. En effet, une des limites de la presse française, réside dans l'absence de critique de la forme pour juger exclusivement le fond. Alors qu'on le sait très bien, la forme n'est pas à négliger dans un medium tel que l'animation, et peut surtout permettre d'apporter des éclairages sur le fond.
Dans une longue interview accordé au site Full Frontal, Toshiyuki Inoue, un des animateur clef vétéran sur le film donnait quelques éclaircissements sur le contexte de production.
On le sait, la production du film s'est étendue sur quasiement sept ans, ainsi on peut observer des différences entre le tout début et la fin du film. Inoue nous explique notamment qu'à mesure que le film avançait et que Miyazaki se fatiguait, il était moins exigeant sur certains dessins, là où quelques années auparavant il aurait été intransigeant. De même, alors que Takeshi Honda (le directeur de l'animation) se contentait globalement de mettre au propre les corrections du maître dans les premiers temps, on peut voir au fur et à mesure le style et la personnalité de Honda infuser dans la réalisation. Et pourtant, malgré cette plus faible liberté dans le début de la réalisation, c'est là qu'on voit le mieux apparaître son style réaliste qui correspond bien à cette ambiance presque "thriller" et ce héron inquiétait... Alors que dans la seconde partie, le héron devient plus loufoque et cartoon, comme dans les productions auxquelles nous a habitué Hayao Miyazaki.
Cette colaboration ainsi que le mélange des fortes individualités qui parcourent le film (Shinya Ohira, Toshiyuki Inoue, ...) est à l'image des thématiques et des symboles qui s'entrechoquent dans le film. Cela peut paraître confus, voir bordélique parfois, mais c'est cette diversité qui faitt tout le sel de cette oeuvre, la rendant si fascinante à suivre.