Et l'inattendu se produisit : Netflix produisit un film à la fois touchant, bien réalisé, bien joué, loin du dépouillement et du cheap de ses productions habituelles. Alors certes, on avait déjà eu "Okja", "La ballade de Buster Scruggs", "Annihilation", ou plus récemment "Triple Frontière". Mais tous ces films étaient l'oeuvre de réalisateurs confirmés que l'on imagine peu dépendants du système de production de la plateforme. Ici, le très bon acteur Chiwetel Ejiofor, signe sa première réalisation et c'est une belle réussite.
Malawi, 2001. La fortune de ce petit pays africain, basée sur ses récoltes, dépend cruellement des aléas météorologiques. A une période de pluies violentes, succède une sècheresse rare. Oublié du gouvernement, dédaigné par les grosses exploitations de tabac, le petit village de Wimbe connaît une grave crise alimentaire et humaine. La famille Kamkwamba, endeuillée de la mort du père de Trywell (Chiwetel Ejiofor, chef de famille), va traverser des épreuves difficiles.
Le jeune William Kamkwamba (incroyable Maxwell Simba), tiraillé entre le devoir familial (travailler aux champs) et son envie d'apprendre (l'école du village, malheureusement payante), va se frayer un chemin par la force de sa détermination.
Ce qui frappe en premier, c'est la diversité des thèmes abordés par le film. L'histoire vraie de William Kamkwamba, le jeune génie qui sauva son village de la famine en construisant une éolienne, est prétexte à l'exploration de la société malawite, la découverte de son système politique, de ses religions et superstitions. Dès le début du film, Trywell se montre pessimiste envers la "démocratie" du pays, supposément bien plus avancée que dans la plupart de l'Afrique. La violence à la fois morale et physique qu'exercera le gouvernement sur le village lui donnera raison.
La famine est aussi un révélateur des solidarités qui se créent ou se brisent, au sein des familles, des enseignants, des habitants du village.
Le cas de William est d'ailleurs caractéristique des forces contradictoires qui s'exercent sur la jeunesse pauvre du pays. D'un côté, l'injonction à se cultiver, quitter le village, entrer à l'université. De l'autre, le devoir de subvenir aux besoins de sa familles de travailler les champs.
L'illusion brisée d'un accès naturel et universel à l'éducation se couple à une fracture générationnelle, une incompréhension du père de famille envers William et Annie, sa fille, qui aspirent à une autre vie. Cette incompréhension est exacerbée par la faim, les sacrifices du père qui attend de ses enfants une obéissance dépassée. La violence du corps enseignant envers les jeunes, le conformisme forcé des étudiants, la pression sur ceux incapables de payer leurs études, sont autant de réalités cruelles bien dépeintes par Ejiofor et ses acteurs. A l'enclavement et la frustration du village, se superposent les frustrations et les impasses personnelles.
L'écriture est assez académique avec une progression narrative calquée sur l'état des récoltes (la pluie, la récolte, la faim...), mais offre une évolution fine aux personnages, distillée tout le long du film.
Le personnage de Chiwetel Ejiofor, au départ père aimant et optimiste, se change en quasi-tyran dévasté par la faim. On pourra reprocher au long-métrage de ne pas aller assez loin dans les situations de crise (un seul cambriolage, une ruée intense mais unique sur la nourriture...).
La réalisation, certes encore hésitante et un brin scolaire, est également riche et intéressante. Les plans larges sur les champs rendant compte de la désolation du village sont bien contrebalancés par une approche visuelle plus intimiste du foyer familial, faite d'ombres, de dissimulations. Le traitement de l'image et du son sont soignés, avec des transitions réussies entre le travail aux champs, la venue du Président, le retour à la famille... On est loins de la réalisation feignante et utilitaire de la plupart des films netflix.
Mais ce qui fait surtout la force du "Garçon qui dompta le vent", c'est la justesse des acteurs qui dégagent une belle et réelle émotion. Tous les membres de la famille sont brillamment interprétés, avec une mention spéciale pour Aïssa Maïga dans le rôle d'Agnes Kamkwamba, la mère, bouleversante de dévotion, de force, de réserve et de sensibilité. Le jeune Maxwell Simba est également stupéfiant dans le rôle principal. Les relations, au sein de la famille et dans le village, sont toutes crédibles et captivantes.
"Le Garçon qui dompta le vent" est une petite pépite d'émotion sans être tire-larmes. Son écriture relativement classique et sa réalisation parfois scolaire sont compensées par l'envie et la sincérité que dégage Ejiofor à tous les niveaux du projet. Certains pourront reprocher au film son côté "chronique sociale et politique convenue". Personnellement, j'ai trouvé toutes les ficelles de cette histoire, même les plus convenues, bien amenées et jamais gratuites.
Une très bonne surprise en ce début 2019.