Cela faisait plusieurs films que Delannoy additionnait les tares du classicisme froid qu'il trimbalait depuis "L'éternel retour" (1943), si on excepte deux films comerciaux ("Le bossu" en 1944 et "La part de l'ombre" en 1945). Au triomphe Cannois du barbant "La symphonie pastorale" (1946), ont succédés la déception des "Jeux sont faits" (1947), la complaisance d'"Aux yeux du souvenir" (1948), la fadeur du "Secret de Mayerling" (1949), l'académisme de "Dieu a besoin des hommes" (1950).
Avec "Le garçon sauvage" en 1951, on retrouve enfin l'admirable metteur en scène de "Macao l'enfer du jeu" (1942). C'est adapté du roman éponyme d'Edouard Peisson (1950) et dialogué par Henri Jeanson. Jean Delannoy s'attache à la solitude de cet enfant, abandonné dans la montagne par sa mère prostituée parisienne. Il vit chez un berger très bien interpété par Edmond Beauchamps (il s'échauffe pour son futur rôle dans la série "Belle et Sébastien"). Sa mère vient le chercher alors qu'il a 11 ans et l'emmène vivre avec elle à Marseille.
Sans aucune moraline Delannoy met en scène formidablement ce gosse qui doit vivre avec sa mère qui continue d'exercer sa "profession". Il l'aime. Il n'aime qu'elle. Au commencement de l'aventure il est heureux, il ne vit que pour elle, il la soigne, la protège. On le voit émerveillé de découvrir la mer (l'homonyme n'est pas anodin), Marseille est d'abord présentée de façon quasi mythologique. Mais rapidement la réalité nous rattrape. Sa mère s'entiche d'un gigolo (Franck Villard), qui prend le contrôle de la famille et lui mène la vie dure. L'enfant cherche à protéger sa mère de l'emprise de cet intru, et elle réagit en le rejetant. Il trouve alors son réconfort dans le travail, avec les marins. Cela mène a une conclusion dure et poignante.
Jean Delannoy fait une nouvelle fois démonstration de sa minutie dans la direction d'acteur. L'interprétation est irréprochable. Madeleine Robinson tient le meilleur rôle de sa carrière (elle sera couronnée par une Victoire de la meilleure actrice), Franck Villard donne une dimenssion subtilement lamentable et antipathique à son personnage de séducteur, l'enfant Pierre-Michel Beck, à la carrière aussi brève que marquante, est excellent comme rarement les acteurs enfants (preuve de plus de l'excellence de la direction de Delannoy). Tout aussi bons sont Henri Vilbert et René Génin. On croise aussi Dora Doll, Fernand Sardou et Fransined, le frère méconnu de Fernandel.
Assaisonné par les excellents dialogues de Jeanson ("il y a des enfants dont il faut faire des hommes, celui-là c'est un homme dont il faut faire un enfant") et par la belle photo de Robert Lefèbvre ("Casque d'or", "Les mauvaises rencontres", "Les grandes manoeuvres"), "Le garçon sauvage" est l'un des meilleurs films de Delannoy avec "Macao l'enfer du jeu" et les deux "Maigret" (je n'ai pas encore vu "Les amitiés particulères"). Ces réussites compensent largement tous ceux qu'il a pu rater.