Le dernier film de Pialat est effectivement une œuvre testamentaire. Retour sur tout ce qui fit les sujets des œuvres les plus personnelles de son auteur, il embrasse la vie toute entière, de l’enfance à la mort, en passant par les tourments de ces amours égratignées de désillusion.
Depardieu, égal à lui-même lorsqu’il décide de faire un bon film, est immense, déchiré entre un caractère odieux comme seul Pialat sait les écrire (qu’on pense à son propre rôle dans A nos amours, ou à ceux de Jean Yanne ou Depardieu dans Nous ne vieillirons pas ensemble, Loulou ou Police) et une infinie tendresse pour cet enfant, filmé avec un amour sans faille.
Le film repose comme toujours sur ce postulat d’une tranche de vie observée à l’échelle du témoin voyeur. Le spectateur prend en cours une existence avec ses flottements et ses contradictions, ses rires et sa mesquinerie. Le grand perdant, comme toujours, est l’amour.
A la fin de Loulou, Depardieu demande à Marchand pourquoi il n’a jamais eu d’enfant avec Huppert, suite à cet avortement qui crée cette béance impossible à combler. Le Garçu est d’une certaine façon la réponse à cette question, la modulation apportée à la partition : au couple, on ajoute l’enfant, qui triangulise les rapports. Aussi incapable avec les femmes qu’avec son enfant qu’il aime sans véritablement être pour lui un père, Gérard traverse la vie avec un regard ivre d’amour pour celui qui le renvoie à ses illusions perdues.
Personne ne sait comme Pialat filmer la médiocrité et la bassesse humaine. Les scènes d’infidélité, notamment les commentaires graveleux de son protagoniste sur les femmes dansant le madison sur Bjork sont d’une exactitude confondante. De la même manière, le mélange inextricable de tendresse, de rires, de malaise et de colère qui se dégage de la séquence du camion apporté en pleine nuit sont un reflet fantastique de la complexité inhérente à la vie réelle.
Même si l’on peut reprocher à Pialat une certaine tendance à l’autocitation et imaginer qu’il aurait pu poursuivre ce genre de récits à l’infini, la question finale qu’il y évoque est centrale. Le garçu, c’est le nom du père qui se meurt, nom pourtant généralement donné à l’enfant, qui est au centre du film. Entre les deux, Gérard. Lui-même « lourd, pesant, impossible à déplacer », comme le lui dit Géraldine Pailhas, sublime (mais qui ne l’est pas au contact de Pialat ?) il est le fils qui doit à la fois prendre en charge le deuil de son père, et son statut de père, lourde et insupportable charge.
Pialat, fils et père d’une certaine idée du cinéma, offre à travers ce dernier film la beauté et l’authenticité d’un registre dans lequel il sera resté terriblement seul.
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