Voici une belle leçon d'écriture que ce Yojimbo. Si ce film n'est pas mon Kurosawa préféré, il a cependant le mérite de démystifier l'illusion d'un besoin superflu de complexité scénaristique. Il nous ramène avec brio aux fondements de l'efficacité narrative, célébrant la puissance d'une histoire simple qui touche et qui marque.
À travers les décors désolés des paysages montagneux, le film nous introduit à Sanjuro, un homme solitaire dérivant sans attache. En tant que ronin, un samouraï sans maître, Sanjuro défie les conventions, et l'art magistral de Kurosawa se manifeste dès les premières scènes en brisant les stéréotypes du samouraï conventionnel. Il nous présente un protagoniste hors des sentiers battus, éloigné du bushido, égoïste et opportuniste, dévoilant ainsi un renversement audacieux de l'imaginaire collectif.
Cette solitude et sérénité imposée au spectateur se voit ébranlée dès les premières minutes du film, lors de l'arrivée de Sanjuro dans le village de Manome. Ce dernier assiste à une confrontation entre deux hommes, installant une ambiance de conflit justifiée par la situation sociale du village. En effet, deux clans s'affrontent, disputant la suprématie des lieux et plongeant les habitants dans une atmosphère de terreur. C'est ainsi un solide point de départ offrant de multiples possibilités à notre anti-héros pour aborder la situation. Dès lors, le sujet du film et ses enjeux deviennent clairs, nous impliquant profondément en tant que spectateur. Le reste du récit est fluide et évolutif. Porté par sa force et son charisme indéniables (Toshiro Mifune oblige), Sanjuro suscite les faveurs des deux clans, se positionnant comme un garde du corps convoité. Il orchestre habilement une surenchère d'intérêt de leur part, avant de faire son choix définitif en faveur du clan qui lui offrira la meilleure rétribution. C'est simple, bien pensé et surtout, bien écrit.
Évoquer Kurosawa implique inévitablement de toucher à sa maîtrise de la réalisation et de la mise en scène. Toute l'intrigue se déroule dans le village de Manome, et c'est avec une maîtrise remarquable que le réalisateur nous guide à travers les mêmes rues de manière ininterrompue, préservant constamment leur beauté et leur dynamisme. Les différents lieux-dits sont visuellement très singuliers, chacun créant très vite un sentiment unique ainsi qu'une utilité scénaristique cruciale en tant que repère géographique, assurant ainsi que le spectateur ne se perde jamais dans l'histoire et surtout, qu'il s'attache émotionnellement à cet univers et qu'il se sente impliqué.
En résumé, le film est à la fois simple, efficace, drôle et haletant. Je ne saurais trop recommander cette œuvre aux plus réticents vis-à-vis du visionnage des films de Kurosawa. Yojimbo se présente comme un compromis parfait, une introduction à la fois simple et percutante à l'imaginaire de ce réalisateur d'exception qui, j'espère que vous le découvrirez, à bien plus encore à offrir..