"Cherchez dans l'ombre, pas dans la lumière"
Yôjinbô relate les péripéties de Sanjuro, un ronin (samouraï sans maître) vivant au début du XIXe siècle. Dès l'ouverture, celui-ci assiste à la dispute entre un père et son fils, ce dernier souhaitant quitter la campagne pour rejoindre les lumières de la ville. Pour autant, l'exode rural n'apparaît pas ici comme une nécessité mais davantage une paresse puisque le fils cherche avant tout à fuir le travail éprouvant de l'agriculture.
Sanjuro finit par arriver au sein d'un petit village gangréné par la corruption et la guerre entre le clan du saké et le clan de la soie. Par de nombreux aspects, Yôjimbô ressemble beaucoup aux Sept Samouraïs réalisé en 1954. En effet, dans Le Garde du corps, les villageois (le chef de la police le premier) sont heureux de voir arriver un guerrier qui va leur garantir la sécurité. Pour autant, l'aubergiste, à l'instar de l'ensemble des villageois des Sept Samouraïs, ne décrypte dans la venue du ronin que l'annonce de nouveaux malheurs. Il n'a d'ailleurs peut-être pas totalement tort...
La caractéristique première de Sanjuro apparaît très rapidement dans le film : c'est un manipulateur cynique qui n'offre ses services qu'au plus offrant. Les gueules cassées des villageois cupides, malhonnêtes et couards finissent de dresser le tableau d'une micro-société pour laquelle il n'existe aucune raison d'espérer une quelconque amélioration.
Il convient d'ailleurs de souligner le soin tout particulier des décors avec les maisons des deux clans opposées, le chef de la police calfeutré au sein de son bâtiment au centre ainsi que l'aubergiste et le menuisier spectateurs impuissants de cette guérilla qui se déroule devant leurs fenêtres.
Yôjinbô est un film reposant principalement sur l'opposition. Évidemment, il y a d'abord l'opposition entre les deux clans mais également une confrontation entre la tradition et la modernité, la ville et la campagne, et enfin l'ombre et la lumière. En effet, Sanjuro croise Unosuke, un samouraï qui préfère utiliser un pistolet plutôt que son sabre. En réalité, le seul personnage complexe qui mêle différentes valeurs antagonistes, c'est bien Sanjuro.
En effet, la rédemption du personnage a lieu alors qu'il cède à un instinct de justice. Ce dernier paie alors très cher sa prise de conscience mais finalement, c'est bien la prise de conscience personnelle d'un seul personnage qui fait basculer le film de l'ombre (depuis l'arrivée de l'inspecteur de l'État, la photographie est marquée par un noir très sombre) à la lumière (qui ne revient que lorsque Sanjuro réapparaît en ville tel un spectre afin de libérer la ville).
Alors que Akira Kurosawa décrit une ode à la solidarité en 1954 avec les Sept Samouraïs, celui-ci offre une vision beaucoup plus pessimiste et plus sombre de l'humanité seulement sept ans après (ce qui explique peut-être le succès commercial rencontré lors de la sortie de Yôjinbô). Sergio Leone, reprend cette œuvre trois ans plus tard avec "Pour une poignée de dollars" qui s'avère beaucoup moins sombre que l'original mais permet tout de même de démontrer une nouvelle fois l'influence immense du maître japonais sur le cinéma américain.