"Il torture, il brûle, il va laver vos pêchés"
"Le grand inquisiteur", comme nous l'explique aimablement une voix-off, se déroule en un temps de guerre civile en Angleterre, voyant s'affronter des Royalistes et des hommes du parti parlementaire d'Oliver Cromwell. Dans ce climat propre au conflit, la loi ne règne plus comme avant, l'injustice est tout autant dispensée que l'injustice, et en profitent des hommes comme Matthew Hopkins. Ce dernier est un inquisiteur joué par Vincent Price, qui mène une croisade supposément contre la sorcellerie, et il est bien payé pour ça, étant censé "être au service de dieu".
L’inquisiteur est accompagné de John Stearne, un mécréant qui l’assiste dans sa tâche en torturant les gens soupçonnés d’être des sorciers et de vénérer Satan, pour leur soutirer des confessions. John a beau se comporter en bon chrétien, il ne daigne pas la compagnie de dames de petite vertu (topless dans la version internationale du film) quand il s’arrête à une auberge.
Matthew, alors que je le voyais comme un homme de dieu au dessus de ces futilités et besoins d’une bassesse purement humaine, profite quand même des femmes qu’on lui amène quand il doit leur faire subir un interrogatoire.
Le film exploite assez bien le contexte historique pour nourrir son intrigue en tournants dramatiques. Le héros, Richard Marshall, est un homme de Cromwell promis à Sara, une jeune femme dont la famille est depuis peu de temps rejetée au sein de leur propre village, parce qu’on les accuse d’être des papistes, des idolâtres, et enfin des adorateurs du Malin. Je ne sais pas trop en quoi les trois ont un lien, mais bon… en tout cas le père de Sara ne souhaite que la voir épouser Richard, une fois qu’il aura fini son service militaire, afin qu’il l’emmène avec lui hors de danger.
Mais il est déjà trop tard, Vincent Price débarque chez eux.
L’ouverture du Grand inquisiteur présente une foule entraînant une "sorcière" jusqu’à une potence, tandis qu’un prêtre essaye de couvrir les hurlements de l’accusée avec sa récitation d’un texte biblique.
Le film présente viols, tortures, et pire que tout : du sexe pré-marital !
Ca me fait plaisir de voir qu’en 1968 déjà on osait faire un long-métrage à budget conséquent présentant une vision crue du moyen-âge, je juge qu’il est essentiel qu’on nous montre autre chose que des versions hollywoodiennes romancées, mais la limite avec le cinéma d’exploitation est fine. Le grand inquisiteur la franchit quelque peu par ce zoom lent et inutile sur un cadavre, et par ce qui m’a semblé par moments comme de l’exagération dans certaines situations dans le seul but d’obtenir plus de trash.
C’est assez exagéré lors de l’interrogation du prêtre : il nie toute association avec le diable, mais l’assistant de l’inquisiteur ne se casse pas trop la tête, il n’hésite pas à poinçonner le dos de l’accusé sous prétexte que c’est ainsi qu’il va trouver la marque de Satan. Apparemment, le sang ne coule pas là où le corps a été marqué. Tandis qu’il œuvre et que le prêtre souffre, il en vient à avouer que la marque est bien cachée…
Même quand une personne accusée n’avoue pas, l’inquisiteur et son assistant les trouvent coupables en inventant des confessions. Ils semblent faire cela pour leur plaisir et pour l’argent, alors qu’il aurait pu être plus intéressant de voir un personnage faire ça non pas car il est un grand méchant mais pour contenter le peuple qui s’est monté la tête et s’est choisi un bouc-émissaire qui, selon leurs dires, s’adonnerait à la sorcellerie. C’est un peu ce qu’il y avait dans Black death, avec Sean Bean en héros sombre, faisant un mal pour un "bien".
Mais bon, les choix concernant l’inquisiteur dans le film de Michael Reeves sont tout autres, Vincent Price joue un grand méchant pur et dur, sans nuances.
Ce qui m’a agréablement surpris par contre, c’est cette fin comme je les aime, très subversive, présentant une perte d’innocence à cause d’une perversion amenée par le grand méchant, et un personnage "bon" qui devient lui aussi une sorte de monstre.
Je trouve qu’il est toujours difficile pour un scénariste d’arriver à amener une conclusion pareille ; et là ça m’a évoqué Black death, mais par un point commun et non une divergence.
Concernant l’écriture, il y a juste une incohérence à un moment dans le scénario : le héros vient à la rencontre d’un paysan qui n’est pas au courant de la guerre civile… mais qui sait que dans une ville à deux jours d’ici, on est actuellement en train de brûler des sorcières.
D’un point de vue technique, il y a juste quelques plans flous qui posent problèmes.
Le réalisateur, Michael Reeves, n’a engendré que 3 films, et celui-ci est son dernier, mais j’ai trouvé qu’il faisait preuve de bonnes intuitions dans certains choix de mise en scène.
Il y a un plan qui ne raconte pas grand-chose, on voit simplement l’inquisiteur Matthew Hopkins chevaucher tranquillement dans un décor champêtre, en chemin vers la prochaine ville où il va œuvrer ; le réalisateur aurait pu choisir d’ellipser ce moment pour passer directement à la séquence suivante, mais l’importance du plan en question réside dans le fait qu’il fait suite à un autre où l’assistant, abandonné par son patron, maudit ce dernier, et ainsi il y a un contraste entre cette situation et celle de l’inquisiteur, qui ne se doute de rien. Et on devine que même s’il était au courant, il en ferait fi.
Autrement, le découpage du film n’a rien de bien spécial, hormis lors d’une séquence où l’on brûle une sorcière. Le choix des plans est essentiel pour que le trucage fonctionne, et honnêtement j’ai été impressionné par l’efficacité de l’enchaînement entre les plans où la "sorcière" s’approche des flammes, et celui où elle brûle effectivement (enfin, un mannequin…) ; c’était assez impressionnant. M’ont aussi marqué les trucages lorsque l’assistant de l’inquisiteur pique le dos de Sara et que le sang coule, on y croit, et j’ai eu mal pour elle.
Je suis content de cette découverte. En plus de donner à voir une version bien sale du moyen-âge, Le grand inquisiteur est très pessimiste, je trouve ça énorme qu’on ait pu rédiger un script pareil à la fin des 60’s. Je ne peux lui tenir rigueur des petits défauts que j’évoquais, tant le film apporte quelque chose de radicalement différent (et rafraichissant, pour moi) par rapport à la norme.