Comment mieux commencer l'année que par un film d'Aaron Sorkin ? Scénariste vénéré et talentueux qui a gagné une popularité assez dingue depuis que David Fincher a magnifié un de ses scripts avec le très bon The Social Network et que Danny Boyle a réitéré l'essai avec Steve Jobs. Mais cette fois-ci, c'est en solo que se lance Sorkin avec Molly's Game, sa première réalisation. De quoi attiser les attentes mais aussi un peu les craintes de voir si il parviendra ou non à marquer l'essai, car un bon scénariste ne fait pas toujours un bon réalisateur. Sauf qu'en se focalisant une fois de plus sur le destin sulfureux d'une personnalité haute en couleur, Sorkin ne prend pas beaucoup de risques et reste dans sa zone de confort. Sous peine d'être comparé aux illustres David Fincher et Danny Boyle.
Car entre The Social Network, Steve Jobs et ce Molly's Game, on peut y voir une forme de triptyque dont ce dernier serait le canard boiteux. Aaron Sorkin montre ici toute ses lacunes de réalisation mais aussi son incapacité à faire des choix. Ce qui offre un film visuellement plat mais qui vient aussi impacter son scénario qui ne se montre pas aussi folichon que ça. Fincher et Boyle avaient fait des choix par rapport à comment mettre en scène ses écrits mais aussi comment canaliser leurs richesses pour ne pas paraître trop lourds. En faisant de ses formidables dialogues de brillants moments de walk and talk, ces cinéastes reflétaient l'urgence et le foisonnement de ses écrits alors que Molly's Game est d'un statisme ronflant. Que ce soit dans la mise en scène qui fait des allers-retours incessants entre le passé et le présent ce qui rend la narration redondante, mais qui fait que le tout tourne aussi en rond dans le portrait de son personnage principal et que donc, cela impact l'écriture car on n'avance que très peu entre les explications incessantes et les développements peu subtils.
Sorkin aligne même les erreurs de débutant dans son script, avec cette voix-off nécessaire mais incessante qui explique tout là où il aurait parfois été préférable de montrer. En tant que réalisateur, Sorkin n'a aucune connaissance du "show don't tell" et préfère un film trop verbeux plutôt que de prendre des risques sur sa mise en scène. Le montage est linéaire au possible et les scènes filmées sans passions jamais magnifiées par la photographie pourtant très correcte de Charlotte Bruus Christensen ou le score anonyme de Daniel Pemberton. Même dans sa mise en scène des techniques de poker, Sorkin fait mine d'une fainéantise assez triste. Surtout que tout ce qui tourne autour du poker tient plus d'un cours académique un peu chiant plutôt qu'une exploration fiévreuse et stimulante de son univers. Il rappelle un peu le côté universitaire et très limité de The Big Short d'Adam McKay. C'est finalement dans le destin naturellement passionnant de son héroïne que le film trouve tout son intérêt, même si Sorkin n'a pas grand chose à faire de ce côté là tellement l'histoire se suffit à elle-même. D'ailleurs ce qu'il apporte là dedans n'est pas des plus pertinent notamment dans le rapport très caricatural et forcé qu'elle entretient avec son père, qui se montre même réducteur lorsqu'il résume sa vie par un simple daddy issue. Tout ce pan de l'intrigue est très téléphoné ainsi qu'assez inutile et montre finalement les limites du style Sorkin.
Les dialogues restent très bon, notamment les échanges entre Molly et son avocat, et ils sont servis par d'excellents acteurs comme Idris Elba qui est dans son meilleur rôle au cinéma mais surtout Jessica Chastain qui excelle, comme à son habitude, et inonde le film de son charisme et de sa justesse. Elle tient clairement l'ensemble sur ses solides épaules. Et Molly's Game s'avère même être un portrait de femme rafraîchissant et authentique même si l'histoire la réduit souvent au bon vouloir des hommes et que le film ne profite jamais pour y porter un regard satirique qui aurait été plus impactant. Il dit beaucoup trop sans jamais montrer et faire ressentir ce qui finit par laisser le spectateur être de marbre devant ce qui se déroule sous ses yeux. Surtout que le récit s'avère très long et donc par moments on ressent les longueurs tout en prêtant beaucoup plus attention aux défauts évidents de l'écriture de Sorkin.
Molly's Game, sans être un mauvais film, loin de là, reste une opportunité manquée pour Aaron Sorkin qui ne convainc pas pour son premier passage derrière la caméra. Plus déroutant encore, le film pointe du doigt les failles de son écriture et démontre aussi l'importance d'un vrai metteur en scène derrière un scénario qui permet souvent d'apporter un autre regard sur le script et canaliser ses plus grosses exubérances. Sorkin est un grand dialoguiste mais si il est un si grand scénariste c'est aussi grâce aux réalisateurs qui l'ont épaulés. Et sans filet, ce dernier se montre bien moins à l'aise dans son exercice. Molly's Game arrive quand même à offrir de très bonnes scènes ici et là, et il est tenu par une impériale Jessica Chastain, mais in fine, aussi plaisant peut-il parfois se montrer, il reste un biopic terriblement classique et oubliable.