Le masqué, il a failli commencer 2018 en fanfare, vous savez... Car il est passé à deux doigts de l'irréparable.
Enfin, surtout le projectionniste, à vrai dire. Il a failli faire les frais des premières minutes de ce Le Grand Jeu, car Behind, devant les premières minutes qui causaient de ski alors que Aaron Sorkin lui avait vendu un film sur le dessous des cartes du poker, il était sur le point de débarquer dans la salle de projection pour lui mettre un coup de machette. En beuglant un tonitruant "Tu t'es trompé de film, connard !"
Puis le masqué a fini par comprendre que le réalisateur et scénariste avait écrit et filmé une temporalité narrative triple, entre l'enfance de l'organisatrice des parties, le développement fulgurant de son business et ses ennuis judiciaires alors qu'elle s'était finalement retirée des affaires.
Aaron Sorkin réalise comme il écrit : bavard, d'un débit rapide, sans jamais être assommant, efficace tout en évitant de verser dans l'esbroufe, le tout en glissant quelques sourires dans une histoire qui emporte l'adhésion de manière immédiate et durable, le tout rehaussé de la composition très agréable de Daniel Pemberton qui, après Le Roi Arthur : La Légende d'Excalibur, trouve une nouvelle fois l'occasion de se distinguer, dans un registre totalement différent.
Loin du Scorsese du Loup de Wall Street et de ses excès tristement réalistes mais pourtant bigger than life ; diamétralement opposé, dans un style voisin, d'un Big Short : Le Casse du Siècle, dans sa manière de faire du pied dans une attitude faussement cool, Le Grand Jeu s'envisagera dès lors comme un film synthèse des plus justes. Il ne noie pas son spectateur sous les règles de son jeu ou sa terminologie comme l'oeuvre d'Adam McKay sous prétexte de pose vaine. Au contraire. Il peint un véritable background fascinant, un microcosme du poker fondé sur les réseaux et les relations privilégiées, un écosystème peuplé de personnages attachants, de losers et d'impitoyables requins. Des personnages qui, même s'ils ne font que passer dans la success story initiale de Molly Bloom, restent pourtant en mémoire par leurs comportements et leurs fièvres parfois incontrôlables.
La triple temporalité du récit permet d'ériger, en face de son héroïne, deux autres figures fondatrices de ce Grand Jeu. Kevin Costner, intransigeant et âpre, est le père contre lequel on se définit, contre lequel on s'oppose et on se heurte. Idris Elba, lui, initie un jeu parfois étrange d'attraction / répulsion, dans un duel qu'il rend instantanément magnétique et passionnant par sa seule présence à l'écran, et qui dépassera l'aspect trop répétitif des films de procès classiques.
Aaron Sorkin, qu'il soit à la plume ou derrière la caméra, réalise donc un quasi sans faute, qu'une séance d'analyse un poil décevante, mais cependant touchante dans sa réunion, ne saurait en aucun cas amoindrir. Faisant de ce Grand Jeu une main extrêmement heureuse qui a tout du flush royal dans ce qu'il propose au spectateur qui ne pourra qu'y adhérer, même si celui-ci est étranger ou allergique au poker.
J'entends et je lis cependant les grincheux et autres critiques mitigés, ceux qui s'interrogent sur le point de vue plus ou moins malhonnête de Sorkin sur son personnage, sur sa célébration, sur ce qu'elle représente en termes de valeurs toutes américaines face à l'argent. Si l'issue est heureuse, comme à chaque fois ou presque dans ce genre de biographie, si cette figure de self made woman exalte la réussite et la force de caractère, Sorkin ne semble pas être totalement dupe. S'il ne critique pas ouvertement son héroïne, la mettre face à certains personnages ou certaines situations, parfois rocambolesques, a de quoi interroger.
Nul besoin de pondre une thèse quand le plaisir est au rendez-vous, surtout quand il est à ce point surprenant.
Behind_the_Mask, Poker face.