« Le pouvoir corrompt, le corrompt absolument. » déclarait Ian McKellen dans une interview sur le tournage du Seigneur Des Anneaux. C’est ce que semblent vouloir démontrer les frères Coen avec Le Grand Saut, film sur les ascensions et les chutes liées au pouvoir. Il y a le pouvoir politique, le pouvoir affectif, mais c’est bien au pouvoir de l’argent qu’ils semblent cette fois s’attaquer. Explorant jusqu’ici le pouvoir du roi Dollar sur ceux qui en manquent, ils observent cette fois son pouvoir sur ceux qui en on trop. Comme toujours leur film ne se résume pas à cette seule dissection et comporte les habituels tics cinématographiques des frangins.
Sans perdre le charme habituel de l’humour « maison », les frères Coen profitent de ce film pour rendre un hommage très personnel au cinéma hollywoodien des années 50. Ce fameux « âge d’or » qui vit se multiplier les chefs-d’œuvre et naitre des stars comme en plein baby-boom. Exercice délicat : ils prennent cette époque, la digère et accouche d’un long-métrage qui respecte les codes du genre tout en les transgressant. Tout y est à sa place, manteaux longs et chapeaux ronds, femmes vaporeuses (Jennifer Jason Leigh n’a jamais été plus belle), voitures énormes et clinquantes et journalistes à brettelles travaillant dans un brouillard de fumée de cigarette. S’il n’y avait la « patte » Coen, on serait en plein film noir.
Reste que ce film traite du pouvoir de l’argent, de l’envie qu’il suscite dans les esprits, tous affaiblis face à lui. Qu’il s’agisse de l’ascension, de la transformation puis de la chute de Norville, de l’absence de scrupules de Sidney prêt à toutes les compromissions pour garder le pouvoir ou de la duplicité d’Amy, capable d’abolir toute morale pour un scoop. Tout ici tend à démontrer (et à démonter) une société où l’argent est devenu l’alpha et l’oméga de nos comportements, où le dollar est devenu le seul moyen d’être heureux, où la richesse n’est plus qu’un but dévorant la créativité, les sentiments et surtout l’humanité de chacun et où les cons ne sont pas forcément là où on les cherche.
C’est justement un faisant preuve d’humanité que les frères Coen parviennent si bien à nous psychanalyser, à dénicher nos faiblesse et pour une fois, on ne peut leur faire le reproche d’une mise en scène sans réelle ambition. La reconstitution des années 50 est bluffante, leur caméra capte une époque, ne la libérant que dans une explosion de costumes et de décors qui remonte le temps aussi facilement qu’on boit un Russe Blanc. Sur ce scénario, ils s’offrent les services d’un Sam Raimi (Spiderman) bien loin des thèmes qui feront sa réputation de réalisateur et qui laissent penser que ses préoccupations ne sont pas réellement celles des Coen.
Joel et Ethan Coen aiment profondément les comédiens, ils l’ont démontré tout au long d’une carrière qui les rapproche de Woody Allen, en ce sens où comme lui, on les sait capables de transformer n’importe quelle brelle en jeune premier. Le Grand Saut choisit les talents immenses où en train de le devenir. Au premier rang Paul Newman, éternel monstre sacré ici sur la fin d’une phénoménale carrière et qui semble s’amuser comme un enfant. Yeux pleins d’étoiles, rire bravache assorti d’un cigare king size, il semble disposé à avaler une caméra. Tim Robbins ne se laisse pas impressionner pour autant et aurait gagné à laisser un peu de place au cinéma comique dans sa carrière. Jennifer Jason Leigh….Mémorable, belle, incendiaire, vampirisante et au charme si particulier, incarne plus que parfaitement ces actrices des années d’après-guerre durant lesquelles le sex-appeal semblait être le préalable à toute carrière dans le film noir.
Tout en étant dans la continuité de leur filmographie, Le Grand Saut prend tout de même une place à part dans l’œuvre des frères Coen par cet hommage emprunt de nostalgie, à un certain cinéma aujourd’hui révolu. Un cinéma où il y avait peut-être plus de qualité, plus de respect pour le spectateur et surtout où la notion d’Art semblait plus présente. Ce film est une réussite formelle totale qui enfonce un coin supplémentaire dans les certitudes de ces sociétés nées de l’après-guerre, sociétés où la promotion de la réussite individuelle est née d’un vaste échec collectif. Plus que les U.S.A., c’est toutes nos sociétés modernes que les frères Coen invitent à s’allonger sur le divan pour affronter la plus impitoyable des thérapies : celle du miroir tendu.
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