Deux ans après le violemment mémorable Django, histoire d'un solitaire entraînant la mort sur son passage à moins que ne soit cette dernière qui le pourchasse inlassablement, Corbucci opte cette fois-ci pour un tout autre environnement, lieux de maux bien plus profonds. Au désert mexicain succèdent alors les monts enneigés de l'Utah au froid aussi morbide que lourd de sens. C'est dans cet étendu blanc à la pureté apparente que surgit notre mercenaire nommé Silence. Un chevalier noir, une arme unique (anachronique pour certains) puis cette musique mémorable signée une fois n'est pas coutume par Ennio Morricone. Une traversée dans les bois rythmée par ces notes si sublimes, une mélancolie des plus touchantes, l'histoire de passions et souvenirs que le froid ne pourra contenir dans ce monde déjà perdu.
Ce monde, c'est d'abord un système, un ordre établi se nourrissant du mal qu'il cultive, dévorant les corps des miséreux. Malgré son peu de temps à l'écran, c'est bien le gouverneur qui s'avère être la véritable source de ce climat inhumain, ce grand architecte gangrené par un pouvoir à portée de main. Corbucci nous dévoilant ainsi les ruines d'une civilisation où les corps et les cœurs sont brisés dès la plus tendre enfance. Chose aussi violente que nécessaire à la réélection d'un seul homme. Sous ce froid carcéral c'est donc bien la faillite d'un système et ses tares que donne à voir l'ancien collaborateur de Sergio Leone. Autant de victimes, autant de vies qui s'entre-déchirent, l'appétit des uns ayant raison des beaux sentiments d'autrui. Dans ce monde le langage n'est finalement plus possible, le verbe ayant cédé sa place à des armes bien plus violentes. Il n'y a plus d'échange, seulement une confrontation des conditions de vie au service d'un seul. C'est dans ce lieu à la froideur cadavérique qu'intervient donc Silence interprété par Jean-Louis Trintignant. Orphelin dès son plus jeune âge, souvenir dévoilé lors d'une scène à la beauté indicible, c'est en définitive ce monde détruit qui a enfanté de cet homme hanté. Incapable de prononcer le moindre mot, sans doute parce que les images sont assez criantes du sort réservé aux individus aussi, Silence ère au service de la mort parmi ceux qui prétendent être encore vivants. L'acteur français incarne cette tendre absence tout au long du récit dans un monde désabusé avant que les passions brûlantes et dévorantes ne surgissent inévitablement chez cet homme écrasé par cette violence infinie. La performance impressionne d'autant plus qu'elle donne au film ce dernier souffle avant la fin. C'est un être capable de violence et de tendresse, victime et bourreau. Ainsi pas de place pour un quelconque manichéisme ici. Sa présence portée par ce thème si saisissant traverse toute l’œuvre.
Mais s'il n'y a plus de place pour les mots, c'est également le deuil de la justice que nous devons faire. Dans une société où le pouvoir pécuniaire supplante tous les autres, se délectant de la chair de manière incessante, notre shérif joué par Franck Wolff n'est plus qu'une victime comme une autre. Totalement désacralisé par sa naïveté comme par sa gentillesse, il n'est alors qu'un énième vestige d'un autre temps, un survivant chanceux en témoigne le début du long métrage. Comme tous les personnages, ce n'est qu'un pion nécessaire au service d'un ordre produisant de la division. Un monde désenchanté, carnassier, dans lequel certains savent néanmoins mieux que d'autres user des règles qui les dominent. A ce titre Corbucci pousse jusqu'au vice ultime le système des lois et valeurs régissant les individus d'une époque. Ce retour brutal à la réalité mondaine est incarné par un Klaus Kinski aussi fascinant que malin. Comme Silence, il retournera la loi à sa avantage. Ainsi c'est par dizaines que les hommes et femmes tomberont, sans jamais avoir franchi une seule fois les limites de la loi. Inefficace, l'instrument de liberté devient celui de servitude. L'ultime échange entre notre chasseur de prime et le shérif laissant éclater au détour d'une scène aussi puissante que bouleversante son propos. Esthétisée, la neige de Corbucci révèle avec beaucoup d'ironie que sous l'apparente beauté naturelle se cachent morts et manipulations. Plus notre histoire avance et plus cette beauté en devient malaisante. La pauvreté comme la faim sont anecdotiques, le spectateur réalisant peu à peu le véritable cimetière dévoilé sous ses yeux. Dès lors les masques tombent. Les ténèbres peuvent enfin ensevelir ce lieu au destin funeste mais si prévisible. Ainsi le dernier acte ne marque pas seulement par sa tonalité comme par son dénouement, il nous saisit également par sa cohérence sans faille. Si évident qu'on n'arrive pas à l'excepter paradoxalement. Il n'y a pas de compromis possible, il est déjà trop tard.
Le deuil du monde, un système corrompu au détriment de ceux qu'il devrait servir. Pas de vainqueurs pour nos personnages qui sont autant de jouets dans les mains d'une minorité avide de pouvoir. Notre chasseur de prime nous quitte logiquement sans vie ni lumière, « idiot utile » au service de la même élite. En définitive Corbucci nous donne à voir un western pas forcément mémorable dans sa réalisation malgré des qualités évidentes, mais d'une puissance fracassante dans son propos aussi juste qu'atemporel. Un lieu perdu dans le froid comme microcosme cristallisant les maux de l'Histoire. Une œuvre terriblement cohérente et une humanité qui a déjà sombré.