Le Grand Sommeil est une variante de la comédie loufoque (strewball comedie) en mode polar. Ce n'est qu'un long hoax, un canular drôle dans l'intention, mais dur (hard boiled) dans sa réalisation. Comme le genre du film noir est plombant en lui-même, Howard Hawks, avec quelques bonnes raisons, notamment la tristesse désespérée du roman de Chandler, n'a pas pris vraiment au sérieux son film. Il l'a pris très au sérieux dans la forme, mais pas dans le fond. Le spectateur va alors se décourager en cherchant à interpréter l'histoire dans une métafiction qui énumère tous les codes du roman noir, en cherchant un sens à une intrigue qui part dans tous les sens. Résultat : une frustration provoquée par les fausses pistes, par une absence de réponses aux nombreuses questions que l'on se pose et par l'absence de chute finale. Ce qui en même temps est plutôt drôle.
Mais les plans du film sont remarquables, surtout ceux où il y a des actrices.
Les jolies actrices du film se nomment Dorothy Malone, qui joue une bibliothécaire avec des lunettes ou Martha Vickers qui joue la sœur nymphomane de Lauren Bacall.
Je suis moins fan de Lauren Bacall qui est hautaine, limite méprisante, le genre d'actrice qui a servi de modèle aux actrices repoussoirs que l'on croise de nos jours au festival de Cannes. Comme Bogart (Bogie pour ses amis) est pareillement froid et plutôt inexpressif, les deux font bien la paire, ils venaient d'ailleurs de se marier.
J'ai noté quelques touches incongrues passées inaperçues dans le flux chargé en péripéties tragiques.
- Toutes les femmes tombent dans les bras de Bogie en dépit de son physique de crapaud.
- Le personnage de Bacall qui fréquente les gangsters et qui est décrite par son père comme gâtée, exigeante et cruelle tombe amoureuse de Marlowe (Bogie) qui est honnête, de petite taille et pas très riche.
- Alors que les meurtres se multiplient et que les nombreux protagonistes tombent aussi nombreux que des mouches dans la chantilly de Cauchemar en cuisine, Bogie a droit à un traitement de faveur de la part des gangsters et ne prend que des dérouillées charitables.
Les dialogues sont originaux, au contraire de l'ambiance classique d'un film noir, avec les clopes, les pétards et la drache, comme on dit dans le Nord. Une partie du texte provient des champs de courses, une des passions d' Howard Hawks. Il raconte :
C’était la saison des courses à Santa Anita. J’avais des chevaux là-bas en train de courir, je leur dis de discuter de la meilleure façon de monter un cheval, et cela se termina avec un : « Tout dépend de celui qui est en selle. » C’était juste ce que je pensais des courses, et je me dis: après tout, pourquoi ne pas avoir une petite discussion d’amoureux qui tournerait autour des courses. »
On aura donc cette scène qui ne sera ajoutée qu’après coup sur les instances de la direction du studio, qui jugeait que le « magnétisme » des deux stars n’avait pas été suffisamment exploité. Hawks introduit une conversation lourde de sous-entendus : « Vous avez de la classe mais tenez-vous la distance ? », lance Bogart à Bacall comme pour la défier. Elle : « Tout dépend de qui est en selle… »
[Film Noir 100 All-Time Favorite – Paul Duncan, Jürgen Müller – Edition Taschen – (2013)].
Ce film m'a fait alors penser à l'Ultime Razzia. Un braquage de la recette d'un champ de course minutieusement préparé mais qui échoue parce que l'un des complices en a parlé à son épouse, le con, laquelle s'est empressée d'en parler à son amant.
La question que je me pose est alors: est-ce que Humphrey Bogart jouait aux courses avec Howard Hawks ? Si oui, est-ce qu'il était aussi passionné de courses qu' Omar Sharif ?
Et Howard Hawks ou Omar Sharif ont-ils jamais eu un jour l'idée de braquer la recette des courses ?
Quel rapport avec le film, me direz-vous ? C'est que à un moment donné, j'ai décroché du Grand Sommeil et mon attention s'est légèrement déplacée ailleurs.
En conclusion si ce film ne vous a pas plu, regardez donc courir les chevaux ou allez danser le disco…