Peter Jackson a passé trop longtemps endormi sous son tas d'or. Encore bouffi de sommeil, il a repris le fuseau pour détricoter patiemment ce qui avait fait le succès de sa précédente tapisserie pour en créer une nouvelle à partir du dessin d'un simple mouchoir de poche, rapetassant avec des fils de laine grossiers les trous béants de la narration. Et le charmant petit conte de Bilbo le Hobbit s'est perdu définitivement dans le processus.

Et pourtant, je ne suis pas une puriste, je n'ai jamais réussi à lire ce pensum de Silmarillion qui prend la poussière depuis quinze ans sur mon étagère, mais j'aime pas trop qu'on me resserve la même soupe que la dernière fois, encore plus diluée, rajoutant des morceaux pas décongelés du Seigneur des Anneaux. Ainsi,toute l'intrigue autour Kili est vraiment le cheveu qui rend immangeable le brouet : Peter Jackson veut faire plaisir aux nerds du monde entier en leur faisant croire que lorsqu'on est petit, brun et velu on peut arriver à séduire une elfette habillée en Link en lui parlant de sa mère et d'astronomie dès la première rencontre ; tout ça pour qu'elle puisse jouer à l'infirmière le moment venu dans une grande lumière blanche (en repiquant ainsi toute la péripétie Frodon/Mont Venteux/Arwen). Non, Biff, on ne me la fait pas ! (http://tinyurl.com/ndd78vl pour les retardataires)

Jackson ressort aussi Legolas du placard pour faire chabrot : encore plus virevoltant qu'un danseur du Cirque de Pékin, avec des yeux de plus en plus bleus, devenu agent de sécurité psychorigide et peroxydé à la botte de son père qui lui, mérite vraiment de gagner le titre honorifique de la plus grosse bitch queen de tout l'univers de Tolkien (en tout cas, c'est lui qui a les plus belles bagouzes). Bon sang ne saurait mentir. Howard Shore n'est pas en reste, et remet une couche de saindoux sur la préparation, en appuyant gauchement sur tous les passages supposés dramatiques ou drolatiques. Même la chanson finale, sirupeuse à souhait, donne envie de déguerpir sans demander son reste.

Les personnages n'ont le choix qu'entre trois actions : monter des escaliers vertigineux qui donnent sur des précipices sans fond (Abysssus abyssum invocat paraît-il), se suspendre à des cordes/chaines (eux, ils n'ont pas dû sécher le cours d'EPS sur la maîtrise de la corde lisse) et tuer des orques numériques qui sortent de nulle part à chaque fois qu'il y a un trou dans l'histoire (c'est-à-dire toutes les quinze minutes). Certains personnages ont plus de choix : Legolas surfe sur tout ce qui bouge, Bilbo tripote son anneau d'un air pensif et Gandalf part en explo dès que ça commence à sentir le roussi pour la troupe, pour bien prouver qu'effectivement "Darkness/Winter is coming" et qu'il arrive toujours à se sortir de n'importe quelle situation avec un papillon et un vieux bâton de sourcier.

Le pire dans tout ça, c'est qu'après nous avoir vendu la Nouvelle Zélande comme le plus bel endroit de la Terre (du Milieu), Peter Jackson arrive à nous la faire presque détester en la maquillant comme une voiture volée sous une tonne de filtres bleus et oranges, de couchers de soleil seapunk et de maquettes numériques qui explosent comme dans une cinématique de jeu-vidéo. Je vais donc pouvoir éviter de casser mon PEL pour partir m'installer là-bas.

Malgré tout, je mets quand même une bonne note. Pourquoi ? Parce que même si la soupe est lourde, elle est suffisamment roborative pour pouvoir passer l'hiver. Parce que j'attends de voir le troisième volume pour me décider si oui ou non il faut sauver Riri, Fili, et Loulou (même si normalement la bataille finale doit faire le ménage) et voir Legolas faire une crise de jalousie avant de ravaler ses larmes sur le cadavre de sa dulcinée (la meilleure solution à mon goût pour justifier la disparition de ce personnage inutile dans la suite).. Et surtout parce que voir ces montagnes de pièces d'or en 3D m'a donné envie d'une seule chose : que Peter Jackson, après avoir massacré Tintin en motion capture, se mette à faire une adaptation des aventures de Picsou, avec Andy Serkis dans le rôle-titre et Viggo Mortensen en Flagada Jones. Car comme disait Wagner -qui a toujours été un panier percé- tant qu'à avoir de l'or, autant avoir l'Or du Rien.
Socinien

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