(Vu en V.O. HFR 3D)
Bien que je considère « Le Seigneur des Anneaux » de Jackson comme une brillante adaptation du livre de Tolkien, force est de constater que, chez les fans, les avis concernant la fidélité à l'oeuvre originale sont loin d'être unanimes. Et pourtant... Au vu du pavé littéraire qu'il s'est échiné à retranscrire en 24 images par seconde, le réalisateur néo-zélandais a accompli une tâche que j'ai toujours appréhendée comme étant proche de la perfection. Son amour pour la Terre du Milieu, sa connaissance de la mythologie et des personnages crèvent les yeux. Mais, n'étant pas un fan décérébré, je peux tout à fait comprendre que certains spectateurs ont été repoussés par des choix de mise en scène et la tendance récurrente à plonger dans la démesure (surtout le troisième opus).
Pour « Le Hobbit », il est objectivement impossible de servir les mêmes critiques : je pense n'avoir jamais vu au cinéma une adaptation aussi proche de l'histoire originelle: peu de scènes oubliées, déroulement particulièrement fidèle, des dialogues entiers parfois repris du livre au mot près... Non, je n'ai pas fumé l'herbe du vieux Toby, je suis bel et bien conscient de ce que j'avance. Les longueurs du début ? Ce sont celles du livre. Le ton plus léger, voire enfantin ? Idem. « Le Hobbit » est un véritable hommage à l'oeuvre de Tolkien, et les changements apportés ne sont en aucun cas trahison mais bel et bien travail d'adaptation. Je ne comprendrai jamais les spectateurs qui veulent retrouver image par image le livre qu'ils ont lu. Qu'ils abandonnent tout simplement l'idée de voir des transpositions cinématographiques de leurs histoires préférées.
Lorsque l'auteur britannique racontait l'histoire de son semi-homme, principalement pour ses enfants, le monde d'Arda qu'il inventait depuis des années n'était encore qu'une ébauche: ainsi, la Terre du Milieu du "Hobbit" n'est-elle pas totalement celle du Seigneur des Anneaux ou du Silmarillion. Le désir légitime d'homogénéiser son oeuvre fait entamer à Tolkien en 1960 une réécriture complète du « Hobbit ». Il abandonna toutefois au bout de trois chapitres, effrayé à l'idée de dénaturer son conte. Ce que Tolkien n'est pas parvenu à faire, Jackson est peut-être bien en passe de le réussir : le film garde le ton enjoué et délicieusement enfantin qu'avait l'oeuvre de papier tout en apportant une dramatisation et une cohérence directement puisées dans la montagne de notes de Tolkien. Le résultat peut être considéré comme la version définitive de la vision de Tolkien : le puzzle s'assemble avec grâce, dévoilant un chemin chronologique vers l'épopée filmée une décennie plus tôt.
De fait, s'il garde les qualités du livre, « Le Hobbit » ne s'est pas débarrassé pour autant de ses défauts. Principalement la très mauvaise gestion des 13 Nains de la bande de Thorin. Seuls trois ou quatre d'entre eux sont vraiment exploités, le reste de la troupe se contentant de courir et de gesticuler en arrière fond tels des figurants de luxe. Mention spéciale à Bombur : jamais un personnage aussi voyant à l'écran ne s'était révélé aussi inutile. Le Nain obèse aux faux airs d'Obélix n'a, je crois, jamais ouvert la bouche de tout le film. Vraiment dommage, d'autant plus que l'effort titanesque fourni par l'équipe artistique pour différencier chaque Nain et les sortir des stéréotypes Warhammer nous donnait vraiment envie de mieux les connaitre personnellement. Peut-être dans les prochains films ?
Du coup, ce relatif anonymat joue énormément sur l'émotion que le spectateur peut ressentir. Alors que chaque héros de la Communauté de l'Anneau était attachant, à sa manière, et nous faisait craindre la mort à chaque danger encouru, la bande de Thorin donne plutôt l'impression d'une bande de potes un peu trop nombreuse qu'il ne serait pas idiot d'écrémer en éliminant deux ou trois d'entre eux. Vraiment, si Obélix mourrait, qui verserait une larme ? Dieu merci, les acteurs qui ont la parole sont tellement bons que la dernière partie du film parvient à susciter un véritable intérêt émotionnel, certes in-extremis. Richard Armitage, alias Thorin, est plus que convaincant. C'est là que l'on voit l'idée de génie pourtant décriée (à raison pour Kili, tout de même, choquant car totalement dépourvu de maquillage) qui consiste à donner un faciès plus humain à certains Nains : l'identification du spectateur est à ce prix et la puissance charismatique de Thorin n'en est que décuplée. Le feu de son regard, sa prestance, sa voix aussi tranchante que l'acier. Armitage EST un Nain par son jeu, les accessoires en deviennent secondaires. Même à poil il aurait réussi à me convaincre... Martin Freeman est un Bilbo d'exception, digne successeur de Ian Holm. Son côté « banal » est parfaitement contrecarré par l'éternelle inquiétude de son regard, ses sourcils en détresse, la moue cassée de ses lèvres. L'un des plus extraordinaires « monsieur-tout-le-monde » que j'aie vu au cinéma. En fait, je crois qu'il a exactement la tête que j'aurais si je me retrouvais armé d'un coupe-papier devant une armée de gobelins sortie de nulle-part à l'heure du thé. Dommage que l'histoire ne le mette pas encore vraiment en avant, mais la suite nous réservera de belles surprises, en toute logique. Quant à Gandalf... inutile de dire à quel point j'ai frissonné de plaisir en revoyant McKellen interpréter à la perfection notre Istar préféré. A quand l'Oscar ?
Malgré mon enthousiasme, je ne suis (hélas) pas aveugle aux défauts. Le plus génant, selon moi, est l'exagération comique dont est capable Peter Jackson. A certains moments, ce bon vieux Pete veut faire plus drôle que l'original, plus enfantin que le conte de Tolkien. Et là, souvent, il se plante. Ainsi, le comportement des Nains est tout de même largement exagéré durant la réception de Bilbo et j'ai envie de dire aux scénaristes que non, un Nain qui rote, ce n'est pas spécialement drôle quand on les voit faire des conneries non-stop à l'écran depuis déjà dix minutes. Mais le pire "ratage", à mon sens, concerne la rencontre avec les Trolls. Ici, le ridicule devient gênant tant j'avais l'impression que la scène avait été écrite pour les 3-5 ans. Des Trolls idiots qui louchent et mettent de la morve dans leur plat, des Nains imbéciles qui s'offusquent quand Bilbo prétend qu'ils ont des parasites alors qu'ils sont en train de cuire à la broche... toute cette scène est, à mon humble avis, un bel échec à cause d'une explosion d'humour décérébré. Enfin, je ne peux manquer de noter un côté contemplatif bien moins mis en avant que dans la trilogie originelle (un comble, vu qu'il y a ici moins à raconter !) puisque Jackson, de peur d'ennuyer son public, ne cesse d'aller de l'avant et ne profite pas toujours de ses pourtant très belles atmosphères...
Venons-en maintenant, si vous le voulez bien, à la partie technique. Je ne pouvais voir « Le Hobbit » que de la manière dont l'avait imaginé son réalisateur, soit en 3D 48 images par seconde. Résultat ? Simple gadget... ? Oh que non ! Evolution potentielle du cinéma ! La claque ! Immersion totale et bouleversement de mon appréhension cinématographique ! Pour la première fois, la 3D m'est apparue dans toute son utilité. La profondeur des décors balayés par un vent que je pouvais presque sentir, les personnages qui prennent vie devant mes yeux, les scènes d'action d'une fluidité incroyable, l'homogénéisation des décors, des sfx et des acteurs... Oubliez les vaines critiques sur l'aspect « soap opera » de l'image. Votre cerveau fait la part des choses en quelques minutes. L'image vous happe, vous fait vivre une expérience incroyable qui préfigure de tout un champ de possibilités encore à peine exploitées... Seul bémol : les personnages semblent parfois courir en accéléré, mais pas au point de nous sortir du film. Et dire que Jackson n'a pas disposé d'assez de temps en postproduction ! Qu'est-ce que ça va être avec les deux prochains opus ! La caméra virevolte avec grâce aux bons moments (parfois un peu trop, il est vrai), plonge le reste du temps dans un monde dont le moindre détail défragmente notre esprit dans une richesse de composition presque insoutenable. Impossible de tout embrasser en une seule fois, je veux revoir le film, dans les mêmes conditions, encore et encore...
Vous l'aurez compris, mon retour en Terre du Milieu, même s'il ne fait que commencer, préfigure un voyage grandiose. Le moment que je retiendrai dans tout ce déluge visuel ? Un gros plan d'une beauté et d'une tristesse stupéfiante sur un Gollum brisé mais plus réaliste et troublant que jamais. Les effets spéciaux au service de l'histoire... Alors certes, cette dernière est bien plus faible que l'odyssée du « Seigneur des Anneaux », mais c'est l'oeuvre originale qui veut ça. Le dépaysement et l'émerveillement sont, eux, intacts. J'ai rajeuni de 10 ans pendant presque 3 heures. Et c'est franchement le pied.
Ma critique de la saga:
"La Désolation de Smaug": http://www.senscritique.com/film/Le_Hobbit_La_Desolation_de_Smaug/critique/18255259
"La Communauté de l'Anneau": http://www.senscritique.com/film/Le_Seigneur_des_Anneaux_La_Communaute_de_l_anneau/critique/3963024
"Les Deux Tours": http://www.senscritique.com/film/Le_Seigneur_des_Anneaux_Les_Deux_Tours/critique/3963173
"Le Retour du Roi": http://www.senscritique.com/film/Le_Seigneur_des_Anneaux_Le_Retour_du_roi/critique/4032392