Nous n’avons pas encore vu en France de films de Naoko Ogigami, et nous nous sommes donc installés devant Le jardin zen sans trop savoir quoi en attendre… Ou peut-être, du fait de son titre français lénifiant et assez "clicheteux", en espérant au mieux une déclinaison moderne du cinéma nippon éternel, fait de grâce et d’humanité (à la Ozu, quoi !). Deux heures plus tard, nous sommes ressortis de la salle, ravis, mais surtout en nous pinçant pour savoir si nous n’avions pas rêvé : depuis combien de temps n’avions-nous pas vu un film japonais aussi audacieux, aussi singulier, aussi surprenant ?
Le titre japonais, Hamon, n’a pas d’équivalent en français mais se traduirait en anglais par « ripples », ce qui décrit les ondes se déplaçant à la surface de l’eau frappée par une pierre… ou n’importe quoi, comme par exemple… un corps. Soit une image (la surface de l’eau « troublée ») qui revient régulièrement dans le film, jusqu’à une scène stupéfiante (avec effets spéciaux, oui !) que nous ne décrirons pas pour ne pas en gâcher la magie, et qui symbolise ainsi les interactions entre les personnages.
Le jardin zen / Hamon raconte l’histoire d’une femme mûre, d’ailleurs tourmentée par l’arrivée de la ménopause, dont le mari disparaît alors qu’il est en train d’arroser son jardin, et qui reconstruit sa vie en adhérant à une drôle de secte où l’on vénère l’eau. Mais quand son mari réapparaît, quelques années plus tard, la sérénité (apparente) qu’elle a réussit à se construire va très vite se désagréger avec des conséquences… inquiétantes.
Le scénario écrit par Ogigami est d’une superbe complexité, qui nous ménage des surprises régulières comme si nous nous trouvions devant un thriller (ce que Le jardin zen n’est pas, soyons clair, en dépit du sentiment menaçant que tout peut arriver à tout moment dans le film !), et qui propose plusieurs niveaux de lecture : psychologique, psychanalytique, politique également. En fait, cela fait une éternité que nous n’avions pas vu un film aussi sévère vis à vis de la société japonaise, de son fonctionnement comme de ses codes : la satire semble certes « discrète », mais s’avère terriblement cruelle, et le spectateur est placé dans une position douloureuse d’accompagner des personnages visiblement oppressés, en souffrance quasi permanente derrière leur apparente sérénité « orientale », et à qui la libération de la révolte n’est même pas offerte.
La mise en scène d’Ogigami est encore plus étonnante, enfermant les frustrations de ses personnages dans un film qui semble longtemps très (voire effroyablement…) lisse : mesuré, bien tenu, lumineux, posé, composé. Pas de musique (sauf à un seul instant, nous semble-t-il), la bande sonore étant occasionnellement rythmée de battements de paumes, dont nous ne comprendront le sens qu’à la toute fin du film. Le jeu de Mariko Tsutsui, actrice prolifique au cinéma et dans les séries TV japonaises mais peu vue chez nous, est littéralement extraordinaire, et nous offre une succession de sentiments ambivalents : elle est tour à tour détestable, effrayante, bouleversante, amusante, sans qu’aucune de ces réactions ne prévale réellement, tout au moins jusqu’à la magnifique scène finale, qui explicite parfaitement, même si c’est sans qu’un mot ne soit prononcé, le propos de l’auteur, et du film.
Nous avons tenté ici de vous donner envie de voir Le jardin zen, malheureusement pas assez mis en avant par la critique, exigeant par sa forme particulière mais au final terriblement touchant. Nous avons aussi essayé d’en dire le moins possible, car l’effet de surprise est l’une de ses plus belles qualités. Répétons simplement que c’est un film qui fait rire, fait réfléchir, qui serre le cœur et qui fait aussi beaucoup serrer les poings. Par contre, il risque de vous faire passer l’envie de boire de l’eau.
[Critique écrite en 2025]
https://www.benzinemag.net/2025/02/02/le-jardin-zen-de-naoko-ogigami-leau-et-le-trouble/