Le Jardin zen
6.7
Le Jardin zen

Film de Naoko Ogigami (2023)

Quoi de mieux qu’un jardin zen, par essence sobre et épuré, propice à la contemplation et au détachement, pour se ressourcer en toute simplicité ? Aux herbes folles qui prolifèrent au gré du vent se substitue un délicat gravier dont l’humain a le parfait contrôle. Des courbes régulières sont ratissées à sa surface, évoquant une mer apaisée… Ou comment sublimer la vie réelle dans un idéal où la nature n’est plus un risque. À l’instar de ce 11 mars 2011, lorsqu’un puissant tremblement de terre ravage le large de Honshū. Au-delà de la catastrophe, c’est toute la vie de Yoriko qui s’est aussi effondrée, son mari ayant mis les voiles sans crier gare dès le lendemain. La voilà devenue seule responsable de l’éducation de leur fils… Responsable de tout, à vrai dire. C’est dans ces moments de faillite que la réalité se porte mieux si on la réorganise à son image, dans un univers aussi aseptisé qu’un jardin zen.


Lorsque, plusieurs années plus tard, le mari de Yoriko daigne repointer le bout de son nez, non sans une intention derrière la tête, c’est une toute autre maisonnée et épouse qu’il retrouve. Yoriko est devenue une femme « sous influence », ayant apaisé son âme meurtrie avec la prière, suivant assidument les rituels d’une étrange secte vouée à l’eau. « L'appel de l'eau réclame un don total, un don intime. L'eau veut un habitant » résumerait Bachelard. Autant dire qu’un deuxième habitant est cette fois de trop… Que dire d’un troisième et d’une quatrième, le fils de Yoriko débarquant dans la foulée avec sa nouvelle compagne, sans prendre la peine de l’annoncer ! Tous à leur manière vont laisser des traces dans ce jardin zen que Yoriko tâche tant bien que mal de ne pas troubler, redoublant d’efforts pour le sublimer chaque matin, chassant ardemment ce chat qui le piétine sans crier gare. Dorénavant, cette routine qui lui apportait tant de quiétude ne semble plus l’apaiser… Les idées négatives fusent… jusqu’à un désir de vengeance, largement encouragé par une de ses collègues qui lui rappelle combien son mari et son fils ont été lâches et égoïstes. Subrepticement, cette nouvelle amie lui donne la force de renouer avec son corps, sa féminité, ses émotions … et les bienfaits de l’eau (à la piscine ou au sauna), sans instrumentalisation doctrinaire cette fois. Sauf que les sectes en restent rarement là et cherchent toujours à avoir le dernier mot !


Bien plus qu’un simple film, Le Jardin Zen est une méditation profonde sur la nature humaine et la quête de sens, dans la lignée du cinéma de Kôji Fukada (on y retrouve d’ailleurs l’une de ses actrices fétiches, Mariko Tsutsui, et le chef opérateur de son dernier film – Love Life). Dans cette comédie noire, la réalisatrice Naoko Ogigami aborde avec un humour merveilleusement décalé la pression silencieuse exercée sur les femmes pour qu'elles soient de bonnes épouses et mères, au point que l’endoctrinement peut sembler une méthode de reprendre le contrôle. « Je trouve étouffant d'être une femme au Japon et j'ai fait ce film dans l'espoir de changer cela. ». Aux hommes qui salissent sur leur passage, laissant négligemment leurs chaussures sur le perron et toutes sortes de traces dans la maison, préférons les jardins zen ! Mais attention à ne pas remplacer une aliénation par une autre… comme celle de sectes, particulièrement influentes au Japon : le Premier ministre Shinzo Abe n’a-t-il d’ailleurs pas été assassiné en 2022 par un membre de la secte Moon ? Mention spéciale à l’esthétique léchée du film – le travail subtil sur la lumière soulignant le choix artistique de la cinéaste de créer une atmosphère qui, bien que paisible en apparence, a sa part d’ombre. Mais aussi de lumière, comme en atteste le si surprenant final !


ocean_jogging
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le 6 déc. 2024

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