« Dieu a inventé le Parisien pour que les étrangers ne puissent rien comprendre aux Français »

Chris Marker était un poète. Déjà avec La Jetée deux ans auparavant, il réussissait à nous émouvoir au travers d’une romance uchronique bouleversante. Ici, c’est sous la forme d’un documentaire qu’il nous dépeint la typologie démographique de Paris, cité de l’amour. Mais son œuvre n’a pas pour but d’établir simplement un portrait-robot du parisien type, ce personnage étrange qui fascine encore à l’époque l’étranger. Le documentaire vise à entretenir l’ambiguïté de la diversité du paysage culturel, politique, religieux et social. Il n’existe pas un seul individu qui n’est pas unique. En contextualisant, le parisien de l’époque est prétendument censé être heureux. Il vit dans une époque prospère où le consumérisme s’installe en bonne pratique importée d’outre Atlantique. Le tournage s’est opéré en mai 1962 après la signature des accords d’Evian qui, logiquement, instaurent la paix entre la France et l’Algérie. Seulement Marker s’érige en instigateur d’une réflexion visant à connaître les raisonnements des individualismes malgré tout ce contexte.


Pour ce faire, globalement Marker interroge une multitude d’individus charismatiques pour caractériser le bonheur et comment ces derniers le perçoivent. Comment ils l’ont atteint et l’ont-ils vraiment atteint ? En quasi-introduction, l’interview d’un marchand de costume n’ayant pour seul objectif que le bénéfice en est le premier exemple. Pour lui, l’argent est le principal facteur de cette notion subjective et vaste qu’est le bonheur. Toujours dans la première partie du long-métrage, le dialogue avec deux adolescents passionnés de finances qui a lieu aux abords de la bourse de Paris, révèle une autre perception du bonheur qui est le pouvoir. Dans ces deux cas, la clé commune semble être la réussite mais leurs embranchements prennent deux voies opposées, l’un a soif de « pognon » (cf. le passage amusant du marchand de costumes) les autres ont soif de pouvoir. Pendant un temps on semble perdus de se rendre compte que ces paroles sont prononcées dans la ville lumière où l’amour et la poésie sont Rois à en croire le passé.


L’amour il en est question avec cette remarquable transition entre la première et la seconde partie nous montrant deux jeunes adultes épris l’un de l’autre, d’une naïveté titanesque et frappante. Ils sont amoureux et le monde qui coule autour d’eux pourrait bien s’écrouler que cela n’y changerait rien. C’est le symbole de la désolidarisation de deux mondes : l’amour et la haine ou plus simplement le bonheur et la peine. S’en suit la seconde partie, représentant ce monde que les jeunes amoureux ne veulent pas comprendre. Une deuxième partie admirablement coupée de la première par une très belle chanson d’Yves Montand.


Ce n’est pas véritablement l’envers du décor que Chris Marker semble nous étaler ici mais uniquement une représentation des épreuves qu’endurent le bonheur chez certains voire de sa raréfaction. L’immigré maghrébin face au racisme ambiant, le cheminot face aux politiques et l’étranger africain se résignant face à l’absence de véritable amitié sont tout autant d’exemples qui viennent prédéfinir les caractéristiques du portrait social, politique et religieux d’une ville en expansion constante. Le Joli Mai est la peinture, à un instant du siècle où l’avenir semble radieux, d’une flopée d’humains soit tiraillés par une pléiade d’émotions paradoxales soit envahis par une d’entre elle dans une ville qui reprend son souffle après une longue période à être hantée par la guerre et les conflits politiques. C’est à la fin qu’un lien s’opère entre les deux parties du film, je me permets de reprendre ce qu’il s’y dit, ce qui fera parfaitement office de conclusion à ma critique :



Nous avons rencontré des hommes libres. Nous leur avons donné la plus grande place dans ce film (...) Ils n'étaient pas sans contradictions, ni même sans erreurs, mais ils avançaient avec leurs erreurs ; et la vérité n'est peut-être pas le but, elle est peut-être la route. Nous avons aussi rencontrés en plus grand nombre des hommes et des femmes emmurées dans leur silence. Peut-être que ce qui les empêchait de parler c'était leur angoisse de savoir que l'on ne peut être heureux quand tant sont malheureux, libre quand tant sont prisonniers.


baptistevanbalbergh
9

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le 21 déc. 2017

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The Passenger

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