Il y a peu sortait Ni Juge Ni Soumise, excellent documentaire de Jean Libon et Yves Hinant qui venait, à quelques années près, appuyer les 30 ans d'existence de l'émission belge Strip Tease dont l'objectif des créateurs était de réaliser des documentaires dans lesquels les commentateurs s'effaceraient pour laisser parler les protagonistes...


Le Joli Mai, c'est un strip-tease parisien deux décennies avant l'heure qui a la particularité sur quelques séquences - d'ouverture, de transition, de clôture... - d'afficher une photographie qui aurait probablement fait baver Ron Fricke vingt ans avant sa participation à l'élaboration de Koyaanisqatsi et près de cinquante ans avant son Samsara.


Le Joli Mai, c'est la photo d'un mois, exposée sur 2h20, d'un Paris partiellement saisi sur pellicule dans cet été de 1962. C'est un fragment d'instantanée et de spontanéité qui se dévêtit devant nous, un présent que nous ne connaîtrons plus. C'est un bout d'Histoire, de ceux qui soulèvent les cœurs et les interrogations. C'est une "naphtaline de la beauté ; cela s'appelle l'art : c'est quelques fois un peu erratique dans ses formes mais c'est quelques fois très beau". C'est un océan de joie, de tristesse, d'ennui, de divertissement, de petits et de hauts faits, de politique et d'errance que l'on nous livre comme un étalon auquel se mesurer, une référence à laquelle se comparer. Sommes-nous si différents d'alors?


L'écart est parfois frappant, les similitudes le sont encore plus.


Dans cette ville aux milles visages, certains masques se lèvent, d'autres tombent face à la caméra fantomatique de Chris Marker, tantôt errante sur les voies publiques, les édicules ou les parvis d'un tribunal ; tantôt pénétrant l'intimité d'un foyer ou la panoptique aveugle au monde extérieur d'une prison. Et c'est alors que l'on saisit tout ce qu'il y a de beau dans ce joli mai.
Cette gouaille et cet accent parisien dont l'on pense l'existence limitée aux films de Lautner. Cette énergie débordante de la bourse parisienne que l'on ne voit plus aujourd'hui, planquée qu'elle est derrière des 1 et des 0, tout ce brouhaha empirique et incessant étant devenu numérique. Ces caractères intraitables, irritables, de parisiens éprouvés. Des sourires d'enfants, des grimaces d'adultes. Des conflits politiques qui divisent, des syndicats, des grèves et des "on ne peux pas dire ce qu'on pense" qui fusent d'ores et déjà. Des enfants de la colonisation, regardant la société qui les appelle nègre ou beurre. La simplicité de certains esprits, l'amour de la complexité pour d'autres. Mais surtout et enfin, une foule qui s'ignore, qui ne se voit pas...
Les élans poétiques des narrations et des chants portés par Yves Montand terminent à merveille cette oeuvre qui interroge sans doute plus aujourd'hui encore qu'à l'époque :
"Sans l'entendre, vous abritez quelque part cette voix qui dit : tant que la misère existe, vous n'êtes pas riche ; tant que la détresse existe, vous n'êtes pas heureux ; tant que les prisons existent, vous n'êtes pas libre."

F_Zappa
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le 16 juin 2018

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F_Zappa

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