La révolution des oeillères
Pour ceux qui ont bien lu le titre, ceci est l'histoire de la journée la plus longue du Japon. Elle s'étale en réalité du 14 au 15 Août 1945 à midi et dure donc un chouia plus, d'où, j'imagine, l'impression de longueur qui donne ce titre primesautier qui rappelle si joliment un fameux Zanuck qu'on se dit que ça va défourailler grave chez les bridés, surtout si le réalisateur du Sabre du mal est derrière la caméra...
Et bien en fait, non, pas des masses. D'abord, il faut survivre à une introduction qui dure gentiment une petite demi-heure avant d'arriver au générique et à la dite journée, on a le droit à un résumé de tout ce qui se passe vu du Japon entre Potsdam et le 14 août, ce qui est très instructif d'ailleurs, mais pas forcément palpitant à voir sous un aspect de documentaire cul-serré dont on est quand même supposé connaître le principal...
Après, enfin, le film commence, c'est une production prestigieuse pour les 35 ans de la Toho, j'imagine qu'ils on raté les 20 ans de leur fameuse journée à cause de l'ampleur du projet et qu'ils ont du se rabattre sur le premier anniversaire qui passait... Du coup, impressionnant défilé de trognes connues et reconnues, on peut jouer au jeu des sept samouraïs, ils sont presque tous là...
C'est un film qui utilise à fond la technique de Walter Scott qu'Alexandre Dumas décrit avec beaucoup de tendresse et d'humour dans le premier chapitre de La vie de mes bêtes, à savoir commencer de façon ultra-chiante et puis, par petites touches, une fois les présentations faites, balancer les événements et nous surprendre à nous y intéresser plus fort que jamais grâce à tous les détails emmerdants du début... Je ne vous raconte pas tout, mais en deux pages absolument hilarantes, Dumas a même le temps de faire des comparaisons culinaires de toute beauté que je vous épargne uniquement parce que, quand même, je sors justement d'un film ultra-chiant de deux heures trente...
Or donc, c'est la merdouille chez les bridés, pour la première fois de la vie ou presque, il perdent la guerre et ne savent pas comment faire de cette étrange situation... Et là, attention les enfants, il y a une bonne heure de suspense insoutenable à base de virgule à changer dans un discours, d'heure d'écoute à trouver, de prérogatives à respecter au cordeau, de plein de petits détails très étonnants sous un régime autoritaire qui se retrouve incapable de prendre une décision... Pour résumer, ils mettent plus de temps à discuter de la présence de trois petits mots dans une déclaration que toute l'armée française à prendre sa déculottée cinq ans plus tôt...
Faut dire aussi, que c'est complexe, les trois petits mots du début, certains vous diront qu'ils ont été rajoutés justement pour foutre le bordel et pouvoir essayer la Bombe qui venait tout juste d'être mise au point et de commencer ainsi dans les meilleures conditions la prochaine guerre, la froide...
Mais quand même, au niveau des événements palpitants, ce n'est pas vraiment ça, on a de très rares tentatives pour générer un faux suspense avec dix secondes de musique mais personne n'y croit, le film est mieux sobre, froid, terriblement froid, assez beau aussi, élégamment mis en scène en plus, ce qui ne gâche rien...
De toutes façons, on est content de retrouver ce bon vieux Chishû Ryû en premier ministre, Toshirô Mifune qui déborde de classe et d'honneur outragé en ministre des armées et Hirohito est incarné avec presque autant de déférence que Roosevelt dans Yankee Doodle Dandy...
A un moment, ils font la Révolution des oeillets en avance et à l'envers, de jeunes capitaines s'essaient au coup d'état, première cible, la radio, forcément, mais là, c'est pas pour arrêter une guerre contre l'avis des supérieurs, c'est pour la continuer, ce qui marche toujours moins bien... Ils sont à la recherche de cette fameuse dernière bataille glorieuse qui changera tout pour eux, pas forcément l'issue de la guerre par contre, ça ils s'en tamponnent le coquillard avec le pinceau de l'indifférence, mais c'est aussi que vu d'ici, ils sont tous cinglés, jonglant entre l'hystérie la plus pénible et le zen tranquille, essayant de combiner à la fois une tradition d'isolement séculaire, une lobotomie totalitariste et la cruelle réalité des guerres modernes...
Et là, en fait, on ne sait pas trop comment, après m'être tellement ennuyé que je voyais des sosies partout (Louis Jouvet, Lee Marvin, michel Simon, Paul Meurisse, Gregory Peck, même Robert Downey Jr. et trois fourbes du lotus Bleu...), la magie de Walter Scott commençait à fonctionner, j'étais presque prêt à rester deux ou trois heures de plus, pour la semaine la plus longue du Japon s'ils voulaient, tant c'est finalement rare et fascinant, toutes ces précisions dans le moindre détail, et même si c'est quand même chiant comme la pluie et que je ne conseille vraiment ça à personne surtout à celle qui a ingurgité imprudemment et juste avant la séance la ration calorique de quatre adultes à elle seule...
Passée la tentation de la sieste, je crois que je n'avais jamais vu aussi nettement ce bouleversement humain à peu près unique en son genre que fut pour les Japonais la reddition, il faut souffrir un peu pour y parvenir, mais ça révèle plus de choses qu'il n'y parait.