Ce journal d'une femme de chambre est sans doute un des films de Buñuel dont la facture est la plus classique. Respectant en cela la roman dont il est inspiré (même si transposé 30 ans après), le film épouse comme il se doit les obsessions du maitre du surréalisme: les bourgeois, l'église (de manière feutrée pour cette dernière) et la politique sont encore une fois présentés sous un jour peu reluisant, mais cette fois, la satire sociale porte ailleurs.

C'est surtout petit le monde sclérosant et asphyxiant de la campagne qui est en cause.
"On a beau dire, la campagne, c'est toujours un peu triste. Les gens doivent pas s'amuser comme de fous par ici", se dit à voix haute de manière prophétique Célestine, en débarquant de son train en provenance de Paris.

Parce que oui, les bourgeois qui accueillent ont tous leurs tares (le vieux père libidineux coincé et pathétique, la fille frigide et calculatrice, le gendre obsédé et pleutre -superbe Piccoli !) mais réduire le film et ce microcosme (la famille) dans le microcosme (le village) est réducteur. Les domestiques, autour d'une Jeanne Moreau impériale de distance et d'insolence contenue, sont tout aussi méprisables: analphabètes, résignés ou véritable brutes (Georges Géret jouant Joseph, extraordinaire !), racistes et d'extrême droite, ils ne valent pas mieux que leurs maîtres.

Au delà de ce premier cercle, le portrait est à peine plus reluisant: voisins tour à tour hargneux, intéressés, vecteurs (ou même créateurs) de calomnies, assommés par le poids du qu'en dira-t-on, rien dans le comportement des uns et des autres ne semble susceptible de nous permettre de porter un regard attendri sur leurs comportements.

Chez beaucoup d'autres que Buñuel, le portrait, un poil trop à charge, pourrait provoquer un léger écœurement. Mais le roman de Mirbeau est parfaitement mis en image ici. Du coup, l'œuvre atteint son but: une critique acerbe des rapports sociaux, un pamphlet rigoureux et implacable de l'enfer social d'une époque dont la violence n'a sans doute que changé de forme.

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le 10 févr. 2012

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guyness

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