La force du Juge et l'assassin, c'est son ambigüité morale, car la figure monstrueuse de l'assassin violant, sodomisant, découpant et égorgeant des petits enfants est montré dès l'ouverture du film comme un pauvre type paumé, sans doute fou, abimé par la vie et la société, tandis que le juge, propre sur lui est loin d'avoir les mains aussi propres qu'il voudrait bien le croire...
C'est pour ça que le film est si bon, en s'inspirant de faits réels, il va réussir à peindre une société de classe où les pauvres n'ont aucune chance, où les chemineaux (j'aurais appris un mot avec ce film) sont considérés comme des parasites dont il faudrait débarrasser la société, où les soins adaptés ne sont pas accordés...
Et donc si le juge a sans doute raison de vouloir arrêter ce que l'on appellerait aujourd'hui un tueur en série, bien qu'il le fasse plus pour lui, son avancement, que pour protéger la population, son absence de doute, ses méthodes vont montrer l'inhumanité d'un système.
Et surtout, la conséquence de ça, c'est que le spectateur ressent de la pitié pour cet assassin, maltraité par la société et manipulé par son juge. Ce n'est pas de la justice, c'est un simulacre du justice et les personnages le savent bien. Les discussions entre Villedieu, ancien magistrat en Cochinchine, et le juge l'illustrent bien. Il est clairement dit que parce qu'il est pauvre il n'a aucune chance.
D'ailleurs j'apprécie beaucoup le personnage de Villedieu, dont la prise de distance avec ce que fait le juge va de pair avec celle du spectateur...
Pour autant, il faut le souligner, le juge n'est jamais lourdement montré comme le méchant de l'histoire, c'est lui qu'on suit, on connaît sa famille on le voit interagir avec elle, ce qui lui donne une certaine humanité. Il est juste un bourgeois de son époque qui se comporte comme un bourgeois, ayant peur pour sa classe, peur que la société qui l'a assis à sa tête s'effondre.
Et pour ça je trouve que Tavernier fait fort, n'importe quel autre réalisateur aurait soit atténué le côté malfaisant du juge pour le faire passer pour un héros, ou bien n'aurait pas osé le mettre en héros et se serait trouvé un autre personnage principal...
Parce que là il faut bien le dire, ni l'assassin, ni le juge ne sont des personnages enviables... Mais parce que Tavernier va tâcher des les juger le moins possible, va les traiter comme n'importe quel autre personnage, malgré leurs actions, il se dégage d'eux quelque chose de terriblement humain.
Le seul personnage qui est bien vu par le spectateur et qui prend toute son importance dans le final c'est celui d'Isabelle Huppert, la maîtresse du juge. Elle représente un nouveau monde possible.
Vraiment cette fin est sublime, montrant le changement d'époque et surtout relativisant les meurtres commis par le personnage de Galabru : la société de classe bourgeoise tue bien plus d'enfants que n'importe quel assassin...
C'est fort.