La société engendre des criminels
Film sur la fin du 19ème, fortement empreint de l’affaire Dreyfus et de ses conséquences, Le juge et l’assassin est, au-delà d’une œuvre idéologiquement très tranchée, également une très belle reconstitution historique. Plusieurs aspects particuliers m’ont touchée pendant le visionnage : notamment le personnage du juge, l’image du vagabond, de la folie et la justice de classes avec toutes les questions éthiques et morales qui les accompagnent.
Le juge, tout d’abord. Personnage paradoxal, nationaliste, dont on pourrait se demander si l’action n’est pas une simple goutte dans un océan. Son cynisme m’a marquée, sa propension aux pièges qui vient contraster avec ce poste qu’il occupe. Homme symboliquement castré par sa mère, il fait un parfait sujet freudien, on le plaint un peu, on l’aime un peu aussi et puis on le méprise sans le vouloir.
D’abord, si Tavernier tente de dénoncer une justice de classes, les revendications d’extrême-gauche restent cependant à mon sens un peu maladroites dans la façon dont il les évoque : en voulant nous montrer le socialisme des origines, l’idéologie naissante, ceci en rappelant les fusillades et les ouvrier(e)s assassinés. Sans être insensible à ces événements, quelques inexactitudes viennent biaiser l’image qu’il s’efforce de donner dans son film. J’ai cependant apprécié le côté historique du film, l’évocation du colonialisme est particulièrement intéressante (cette relation ô combien malsaine entre l’avocat et son boy, seulement suggérée mais qui nous colle pendant tout le film).
Mais c’est surtout pour le traitement de la folie et l’image du vagabond que j’ai aimé ce film. Le rapport à l’hôpital qui est largement mis en question avec ce grand renfermement et le personnage de Bouvier. La question principale est : que fait-on des vagabonds ? Qui enferme-t-on ? Ici, le film retourne Foucault et la prison et l’hôpital deviennent le lieu du crime. Leur rôle devient moins clair, contrasté et laisse perplexe. Tavernier soulève la question morale et éthique assez classique de la responsabilité des fous. Pour lui, c’est la société qui est coupable, qui engendre des criminels et il le fait d’ailleurs entendre en critiquant largement la peine de mort, le poids de la rumeur et de la foule.
Et puis on a ce vagabond, un homme qui sait écrire, dont l’image est magnifiquement traitée, et de façon originale, ceci étant sublimé par une très belle photographie (les paysages de l’Ardèche en automne), des plans séquences à couper le souffle. Techniquement, rien à redire, la maîtrise, certes peu innovante, reste cependant parfaite. Si Galabru a obtenu un César pour ce rôle, il ne l’a clairement pas volé. Rien à redire non plus sur le casting, donc, puisque Noiret est lui aussi impeccable.
Le mépris pour Zola m’a faite sourire, l’insulte suprême de « poète » aussi. Finalement, pourquoi seulement 7 ? A cause de ce plan final qui m’a déçue, qui vient comme un cheveu sur la soupe, qui se décroche du film avec une image non seulement maladroite mais inexacte (comme évoqué au début de la critique). Les chansons c'était mieux. C’est principalement ça qui m’a retenue de mettre un 8-9, parce que ça m’a laissée un léger goût de déception à la fin de la projection, alors que cela aurait pu être un sans faute.