Tu tiens Rambo 3 pour un documentaire sur le péril rouge? Tu boirais un bidon d'essence pour pouvoir pisser sur le feu de camp des laxistes? Tu n'as pas le temps de saigner et tu adores faire croire aux gens que tu les tuera en dernier? Tu as un buste de Bruno Retailleau et un portrait de Rodrigo Duterte dans ta chambre? Ne cherche plus, ce classique des redifs du samedi après-midi sur des chaînes TNT miteuses, est fait pour toi.
Death Wish, ou la malédiction de la suite. Le premier est un classique de série B tout à fait honorable qui fleure bon les seventies, un peu à la Inspecteur Harry, avec juste ce qu'il faut de sauvagerie, de controverse et d'apologie sulfureuse de la justice privée. Un classique quoique un peu oublié aujourd'hui, à en juger par tous ceux qui prennent pour culte la scène du métro dans Joker sans voir qu'elle a été repompée à ce film.
Las, rachetée par les gredins de la Cannon, cette franchise a ensuite accouché de suites toutes plus navrantes et bigger-than-life les unes des autres, abreuvant le genre souvent bas du front du vigilante-movie de quelques magnifiques perles. Si le 4eme opus nous offre en VF un titre des plus fendards (Le justicier braque les dealers), c'est bien le 3eme dont il est question ici, qui remporte la palme du nawak le plus total.
Histoire? Quelle histoire, pourquoi faire? La rue est devenu un putain de champ de bataille. C'est tout. Oubliez les quartiers Nord de Marseille, La Guillotière, Mogadiscio, les rues de Saint-Denis un soir de victoire de l'Algérie, ici c'est une toute autre limonade qui se joue. Mais attention, c'est un film à message. Un message digne d'un beat them'all mongolo à la Streets of Rage ou d'une éructation de Bruno Attal, certes, mais tout de même c'est un film qui pense.
Il y a quelque chose d'hilarant dans le prétexte de base des Death Wish, créant par la force des suites une surenchère complètement gratuite et ridicule, étant donné le contexte qui se veut celui d'un polar urbain réaliste. Dans le 1er film, c'est le meurtre de sa femme et le viol de sa fille qui poussent le respectable architecte Paul Kersey dans une rage meurtrière. Dans le 2eme opus, on re-viole sa fille, qui se suicide. Désormais, vu qu'il n'y a plus grand monde à tuer et/ou violer dans sa famille, c'est un vieil ami de Paul, évidemment citoyen modèle et vétéran de guerre, qui est sauvagement tabassé à mort dans son appartement par une bande d'extorqueurs. Il a vraiment pas de bol, Paul.
Les méchants, parlons-en, car ils sont magnifiques. Des hordes de punks sauvages, goguenards et complètement abrutis, tout droits sortis d'un sous-Mad Max de Bruno Mattei, d'un comic-book, ou encore d'un épisode de Hélène et les garçons, c'est selon. Ils ont toute la panoplie des clichés élimés depuis les films de motards des années 50, du perfecto clouté à la chaîne de vélo en passant par les peintures sur le visage et les mitaines en cuir. Ces figurants, anglais au passage (aux intonations appliquées évoquant plus Christopher Lee que Jesse Pinkman, ce qui rajoute au côté lunaire du bidule) sont un patchwork hilarant de tout ce qui faisait paniquer la société conservatrice des années 80, de toutes les contre-cultures de l'époque, ce qui avec les décennies ne fait qu'accroître la valeur hilarante du projet. Le métrage offre une vision tout en subtilité et en réalisme de l'insécurité et de la délinquance: des bandes semant la terreur dans l'impunité la plus crasse, des scènes de guerre et de pillage en plein New York, des citoyens soumis à la peur permanente du home-invasion, un Etat fédéral des plus défaillants...
Toi qui entre ici abandonne ton cerveau à la consigne. Oublie le cheminement complexe de l'américain moyen qui, acculé par le deuil et la douleur, se résout à une vengeance aveugle et finit par en jouir. Bronson est ici Terminator, il n'y aucune justice ni aucune procédure qui vaille, l'état de droit protège les méchants et ceux-ci ne méritent que la mort, une balle dans la tête est la sanction pour la moindre bousculade dans la rue. C'est un état d'esprit qui se retrouve de + en + dans l'opinion actuelle, y compris chez les forces de l'ordre, et en cela Death Wish 3 est un film dans l'air du temps, ce qui est à la fois tordant et effrayant.
Bronson, 64 ans, l'air blasé de toutes ces conneries et payé à l'heure, ne joue jamais et se traine mollement lorsqu'il doit courir après des jeunots pouvant être ses petits-fils. Au début, il se contente de leur péter la gueule à mains nues, ce qui est en soi hilarant vu l'écart d'âge et de condition physique entre lui et les méchants. Mais bien vite, son personnage, à la base civil sans histoires et objecteur de conscience rappelons-le, s'offre un flingue au calibre fleuri à en faire passer le 44 Magnum de l'inspecteur Harry pour un pistolet à eau, et ce lance dans d'hilarantes explications d'armurier devant ses voisins ébahis. Dès qu'il met un pied dehors, un jeune lui arrache son appareil photo en bandoulière: il l'abat d'une balle dans le dos, sous les vivats des riverains. La peur a changé de camp. La vie c'est si simple.
Le comble du populisme facho est atteint lorsque les flics, évidemment lâches et procéduriers, limite complices des bandits, vont menacer un couple de retraités de les mettre en prison s'ils ne leur remettent pas le flingue qu'ils ont caché dans un tiroir pour se protéger. Et ce pendant qu'une dizaine de sauvages foutent le bordel en bas de l'immeuble. Scène suivante: orange mécanique, une bande de jeunes s'engouffre dans l'appartement par la fenêtre et leur dérobe leur télé en leur riant au nez. Scène re-suivante: Bronson conçoit pour ce couple un booby trap, dont le but est de ficher une pique dans le crâne de tout individu qui essaierait de rentrer par la fenêtre. Scène re-re-suivante, démonstration est faite dudit piège. Un vrai magicien le Bron.
Histoire d'en rajouter dans le mépris de l'état de droit, l'avocate du justicier ne lui sert à rien sinon de vague love interest qui finit explosée dans sa voiture par un énième déchet de la société, déclenchant ainsi le dernier acte jubilatoire du film. Bronson prend acte en obtenant un arsenal comprenant une mitrailleuse lourde et un lance-roquettes… En le commandant par la Poste. Vive la liberté, motherfuckers.
L'apothéose est magnifique. Pendant les 25 dernières minutes de cette geste bronsonienne, le justicier, mitrailleuse à la hanche et ceinture de cartouches autour du cou tel un Jesse Ventura valétudinaire, s'en va pédestrement buter par dizaines les délinquants qui du coup partent totalement en roue libre. De là à dire que la violence entraîne la violence, il n'y a qu'un pas que la Cannon n'ose jamais franchir. Les punks font péter des immeubles entiers à l'explosif, des pelotons de bikers s'en vont faire sauter toutes les bagnoles qui trainent au cocktail molotov, des types tentent de violer des nanas en pleine rue… Qu'à cela ne tienne, Charles va tous les buter avec flegme, jusque dans les chiottes.
Après avoir tout fait péter gaiement (impliquant un hilarant duel au lance-roquette dans un appartement contre le chef de bande qui se retrouve donc prestement éparpillé façon puzzle), le justicier ayant accompli son office s'en va sans dire un mot, caméra de dos et valise sous le bras, sous une musique funky de série policière des eighties.
Death Wish 3, c'est le film anti-civique et anti-réflexif parfait. C'est l'anti-L'Homme qui tua Liberty Valance. Lumière éteinte à tous les étages. Degré zéro. Aussi pulsionnel qu'un porno, aussi bourrin et irresponsable que le programme de Reconquête, aussi bête qu'une soirée apéro avec Alexandre Benalla, aussi crétin et satisfait de lui-même qu'un meeting de Jordan Bardella, mais aussi jouissif qu'un refrain de 50 Cent. Bref, nous ne pouvons vivre en société avec un tel film, et c'est ce qui le rend à l'évidence, tout à fait indispensable.