The Kid fait partie de ces quelques films que l’on peut qualifier de chef d’œuvre absolu sans passer pour un crétin, ce qui n’est déjà pas une broutille. Pour l’anecdote (il en faut), nous sommes en 1919. Chaplin vient d’avoir 30 ans et ses deux derniers courts métrages, les exquis Une idylle aux champs et Une journée de plaisirs, viennent de connaître un énorme succès. Charlot est un personnage, une icône, une « star » internationale. Artiste et homme d’affaire avisé (bien épaulé par son frère, Spencer), Charles vient d’ailleurs de signer un mirobolant contrat d’un million de dollars avec la First National. Une peccadille.
Mais, en éternel insatisfait, il a pourtant l’impression d’être arrivé au bout de quelque chose. Il veut plus : plus grand, plus dense, plus fort. Il se lance alors dans l’écriture d’un nouveau court métrage qui s’étoffera au point de devenir son premier long. Il en profite pour porter toutes les casquettes : auteur, réalisateur, acteur, compositeur (les puristes reconnaîtront également la Symphonie n°6 de Tchaïkovski), monteur et producteur.
Garçon, l’addition !
Inspiré par sa rencontre avec l’enfant prodige Jackie Coogan (qui lui rappelle sa propre enfance misérable), plongé dans un mariage triste et dévasté par le décès de son premier enfant qui n’aura vécu que trois jours, Chaplin opère ainsi un profond travail de deuil et de résilience dans une œuvre pétrie d’autobiographie.
En résulte un film drôle, touchant, d’une sincérité désarmante, mis en scène avec un sens du rythme toujours exceptionnel. Comment ne pas fondre en larmes lors de la fameuse scène de « l’enlèvement de l’enfant » par les services sociaux ? Comment ne pas céder sur le plan final ? Et tant d’autres moments de grâce, de joie, de révolte.
Car avec ce film, Chaplin s’engageait dans une nouvelle période de son travail. Plus engagé, plus politique, plus ambitieux. Avec son génie en bandoulière, Charlot allait pouvoir s’épanouir sur de nouvelles œuvres tout aussi intemporelles.