Les adaptations de Walt Disney font autorité chez nos contemporains dans la manière dont l'histoire d'un conte merveilleux se doit d'être racontée. Au point de susciter une certaine exaspération et lassitude car Walt Disney, dans son soucis de rester fidèle à des écrits datés du 19ème siècle, se fera par la même occasion l’héritier et le promoteur de valeurs morales conservatrices et patriarcales de ce même siècle. Et c'est ainsi que nous connaîtrons l'éternel cliché - parmi d'autres - du Prince venant toujours sauver la Princesse en détresse. Telles sont les limites des histoires racontées par Disney (au moins dans ses Classiques).


Ce sont ces limites que Del Toro essaye de dépasser dans Le Labyrinthe de Pan en s'appuyant sur un grand nombre de sources différentes plutôt qu'une seule issue d'un même conte. En les faisant s’entre-croiser sans jamais que l'une d'elle ne devienne prépondérante il permet de donner un sens plus élaboré à son film.


On nous raconte l'histoire d'Ofelia et de Carmen, sa mère, qui s'apprêtent à vivre chez Vidal un sévère capitaine fasciste dans les années qui suivirent la fin de la guerre civile en Espagne. Vidal a pour mission de déloger les derniers rebelles cachés en montagne, tout en attendant la naissance de son enfant par Carmen. Très tôt Ofelia fait la rencontre d'un Faune qui lui apprend qu’elle est en fait la réincarnation d’une princesse d’un royaume souterrain, égarée sur Terre. A partir d’ici l’histoire se sépare en deux récits parallèles : La quête fantastique et le drame politique.


Essentiellement aucun de ces deux récits n’est réductible à l’autre et Del Toro fait en sorte de rendre problématique toute simplification de l’intrigue. Vers la fin du film alors que le récit fantastique approche de sa révélation finale, on voit Ofelia parler avec le Faune puis la caméra se recentre sur Vidal arrivé par derrière et adopte son angle de vue dans lequel le Faune n'apparait pas. Ofelia a donc tout inventé afin de mieux vivre la triste réalité. Sauf qu'il suffit de remonter un peu en arrière pour se remémorer que Vidal a été drogué par une forte dose de médicaments. Ce qui amène à expliquer les hallucinations et le surnaturel dans tant d’autres films sert ici au contraire à remettre en doute ce que voit véritablement Vidal.


Plus qu'un jeu avec le spectateur, dans cette scène comme dans d’autres, le film refuse d'obéir à notre souhait d’obtenir une explication globale. Mais surtout la désobéissance est le thème majeur du film. Alors que dans les histoires de Contes la désobéissance est l’acte qui met en place l’histoire, désobéir est ici considéré comme une valeur importante et vitale. On assiste à la désobéissance des rebelles qui cherchent à libérer l’Espagne d'un régime autoritaire, la désobéissance de Mercedes et du docteur qui collaborent avec eux et bien entendu celle de Ofelia - considérée comme une princesse dans les deux récits - qui va au fur et à mesure questionner et ignorer les ordres de sa mère, du capitaine et même du Faune. Mais la désobéissance la plus frappante est celle que le film s’applique à lui-même. Del Toro veut saper l'idée même d'une histoire unique. En mettant en place tout un réseau d'intertextes, le sens du film est ramené à une affaire de choix.


Pensons à toutes les références dans la salle de l'homme pâle.
Il y a les images d’ogres qui rappellent les diverses mythologies associés mais surtout au Titan Cronos qui dévorait ses propres enfants afin d’empêcher de se voir détrôné comme il avait naguère détrôné son propre père Ouranos (parallèle évident avec l’Espagne Fasciste). Il faut également préciser que "Cronos" est le nom du 1er film de Del Toro, l’un des nombreux aspects qui relie toutes ses œuvres entre elles.


La table ramène à la scène du banquet en début de film, plaçant l'homme pâle dans la même position que Vidal. La pile de chaussures qui est présente recontextualise les chaussures rouges d’Ofelia comme une référence possible à ceux portées dans "Le Magicien d’Oz" (et Ofelia s’habille elle-même comme dans "Alice aux pays des merveilles") et au film de 1948 "Les Chaussons rouges" de Powell, ou tout simplement comme une image rappelant les piles de vêtements dans les camps d’exterminations Nazi.


Et la scène elle-même (lorsqu’elle mange la nourriture appétissante) fonctionne comme une métaphore sur comment la beauté des choses – comme par exemple celle des Contes de Fées - peut nous envouter au point de nous faire penser et agir dans ce qui s’avère contraire à notre intérêt.


Del Toro a élaboré un vaste réseau de références propres au film et extérieures à celui-ci. Elles sont à prendre à la manière dont vous l’entendez, Del Toro ayant entremêlé ces références à travers sa réalisation et son montage afin d’aboutir à pareil élan narratif.


C’était le but de Vidal, à l’instar de tout régime autoritaire ou Conte de Fée moralisateur, de limiter le nombre et le genre d’histoires qui peuvent être racontées à partir d’un ensemble de faits ou d’évènements. Une seule histoire, en fait. La seule chose à faire c’est donc de désobéir. Dans les contes de fées de Disney l’histoire reste contenue et se referme avec le livre. Puis apparait le mot FIN. L’intelligence de Del Toro s’est d’utiliser un genre aussi formalisé puis de désobéir à nos attentes sur comment il doit se dérouler et comment il doit se finir. Le film commence par sa fin et on sait que l’Espagne continuera de vivre sous le régime Franquiste pendant 30 ans. Ofelia est morte mais accomplit sa quête et revient dans son royaume fantastique. Vous pouvez voir ça comme la fin poétique d’une histoire triste, la fin heureuse d’un conte de fées ou le choix final d’Ofelia sur l’histoire qu’elle voulait se raconter à elle-même.


Mais bien sûr elle n’a pas besoin de choisir puisque cette fois il n’y a rien à contenir. Au point que même lorsqu’on la voit retourner dans son monde magique, le film indique à l'écran et nous explique



« qu'elle laissa derrière elle quelques traces de son passage sur la terre, visibles seulement pour ceux qui savent où regarder. »


Ashtaka
9

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le 3 nov. 2016

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