(GRANDS DIEUX que cette affiche est cringe.) Alors bon, Blue Lagoon, c’est monté à la hache, y’a des plans d’oiseaux en mode docu entre chaque séquence, et y’a à peu près tout ce qu’il faut pour dater un film de début 1980s. Et pourtant...
…Et pourtant, il y a ce mythe éternel du naufrage, celui du paradis isolé qui pourrait tout aussi bien être l’enfer, ce grand motif vénusien du rapport à la nature par sa reconfiguration. Il y a cet autre mythe, contigu, de deux enfants qui peuvent construire leur monde et s’en faire dévorer (on embrasse Prétextat et Léopoldine).
Il y a ces corps nus sous la pellicule (le saviez-vous ? « pellicule » veut dire « petite peau »), une mise en scène non-érotisée, des corps qui changent mais qui gardent les gestes de jeu de leur enfance. Un travail de réminiscence par les « reveries » (comme pourrait les nommer le Dr Robert Ford de Westworld - en français dans le texte anglais) :
Car ces enfants qui deviennent adolescents restent à tout jamais restreints par leur répertoire de gestes qui s'est bloqué à l’âge de leur naufrage ; n’ayant pu apprendre les nouveaux, ceux que la société leur aurait inculqués, ils n’ont de cesse de réactualiser les anciens. La nage récréative, la construction et la pêche, le visionneur de photographies, les habits… Et il y a, finalement, la découverte des gestes non appris. Le sexe.
Il y a, après des années sans civilisation, ces chansons de Noël qu’ils essaient de chanter, en ne pouvant se souvenir d’à peine plus que des premiers mots ; il y a, en écho, cette prière du Notre Père qui s’avoue incomplète, oubliée elle aussi, pour se transfigurer : «…With freedom and justice for all ».
Il y a la reconnaissance du squelette comme image-miroir de soi-même, comme vague compréhension du « fall asleep forever » que Paddy leur présente comme doux euphémisme de la mort.
Il y a, en fait, un scénario si simple, radeau dont on sent la structure mais qui parvient à imbriquer et à coudre sans complexe ses ourlets successifs ; juste ce qu’il faut d’apprentissage du vieux Paddy sans que ça fasse lever les yeux au ciel, jamais trop d’appui sur le rapprochement des enfants ni sur leurs disputes, jamais trop de naïveté ni trop de science infuse.
Il y a un jeu partagé, des mimiques plutôt fines (malheureusement mal montées la plupart du temps), très peu de choses données comme une évidence dans les émotions qui filtrent.
Il y a le retour violent du patriarcat, même en milieu sauvage (critique, ou effet moiré des années 1980 ?) et d'autres minuscules motifs, qui se glissent avec complexité dans ce film en apparence trop simple.
Et, enfin, pour y revenir : ce paradis isolé, ces enfants piégés sont des idées qui me sont familières, qui font partie de mon imaginaire. Alors vu que c’est plutôt bien fait, ça me capte.
(Mais que réserve Blue Lagoon : The Awakening, le remake de 2012, où Paddy a disparu des radars, où les enfants (cousins dans le film original) sont remplacés par des post-adolescents déjà majeurs, et qui se rencontrent tout juste ? On parle beaucoup du woke washing et de ses déformations contemporaines (« comment ose-t-on faire une Petite Sirène ou une Fée Clochette matte de peau ? »), des problèmes qui n’appartiennent qu’à l’éthique étriquée de ceux qui les regardent. Là, en revanche, on a l’air d’être sur l’effet inverse : passer le cœur à la javel, ébarber les éléments éthiquement questionnables (à savoir l'inceste) pour ne garder qu’une vague trame sérielle… En somme, on touche à un élément de scénario ; cela ne discrédite pas le remake en soi, mais le déplace totalement. Hâte de voir.)