De John Milius, je ne connaissais que Conan le barbare, une référence dans le genre très mal fourni de l'héroïc fantasy. Mais Le lion et le vent, inspiré d'un fait réel, lorgne plutôt du côté de Lawrence d'Arabie quant à sa représentation visuelle et son sens épique, bien que moins profond dans ses thèmes et sa relation spirituelle avec le désert. On en prend souvent plein les yeux et les oreilles. Caricatural en apparence dans ses vingt premières minutes via son traitement des personnages (les berbères sont des sauvages bêtes et méchants, ignorants et sans pitié, puis les américains, de gros colonisateurs sans vergogne se moquant des pays conquis) ce film s'avère beaucoup plus malin par la suite en jouant avec la caricature même, et en révélant un petit sens comique à la manière de L'homme qui voulut être un roi.
Je dirais que (presque) tout est mis en oeuvre pour qu'on déteste au début les deux groupes de personnages présentés, mais finalement chacun en prend pour son grade avec un ton mi-sérieux mi-comique, et un traitement sur la caricature voit le jour qui trouve son apogée dans la description d'un ours, allégorie des deux meneurs d'hommes, de l'Amérique, mais aussi de la manière dont le réalisateur conçoit le cinéma : pour que des personnages aient de l'épaisseur, il ne faut pas hésiter à les esquisser à gros traits au début, quitte ensuite à les dégrossir par la suite, ce qui est le cas ici. En même temps, il ne faut pas se voiler la face : le début fait aussi parti de l'identité du film, avec une violence sans concession, quasiment sans paroles, et à la clé un enlèvement de femme et d'enfant par un groupe arabe mystérieux. Une introduction rappelant beaucoup celle de Conan, qui nous indique que les scènes d'action ne seront pas édulcorées et font partie du "package" (ça reste soft et souvent hors-champ : je parle de l'esprit guerrier mis en exécution, pas de la violence graphique).
Cependant, la suite montre un autre visage avec des traits légèrement adoucis. D'abord, le responsable de l'enlèvement (Sean Connery qui trouve là un rôle à sa mesure) est meneur d'hommes, d'apparence royale, homme de principes et d'honneur, et indomptable. Mais il peut aussi se révéler chaleureux et charmant avec ceux qu'il connaît bien avec quand même un sine qua non : il ne supporte pas d'être insulté ou humilié. Puis il est aussi un grand guerrier, comme il le montrera à travers une scène d'action où on pourrait s'attendre à ce qu'il déboule avec toute son armée, mais non il est tout seul face à vingt hommes. De son côté, le président américain est montré comme un fou furieux amateur de la gâchette et n'hésitant pas à éviter de justesse une guerre mondiale pour sauver deux américains (un vrai cow-boy), mais montre aussi un profond respect pour les ennemis qui lui résiste, comme le grizzly qu'il a tué. Puis ça continue avec les kidnappés : la femme bourgeoise qui se révèle parfois plus forte que les hommes et qui tombe peu à peu sous le charme du chef berbère (sans tomber dans l'histoire d'amour), et surtout les enfants totalement fascinés par la violence, et nullement effarouchés par celle-ci (il faut les voir regarder les autres couper des têtes sans cligner de l'oeil). Nous avons droit aussi à une magnifique séquence où le garçon se rappelle les bons moments passés avec eux après sa libération (ce point de vue enfantin de la guerre me fait un peu penser à celui de Empire du soleil). Pour lui comme pour les autres, cet enlèvement s'est transformé en initiation, et il aurait bien voulu devenir lui-même un guerrier berbère (j'aime beaucoup la scène où il s'attend à être pris avec eux, puis finalement ils s'en prennent à son fusil). Encore une fois, le film joue avec nos attentes, en commençant avec une caricature bête et méchante, pour ensuite la déjouer, puis finalement la restaurer.
Il y a un petit message anti-colonialiste - vu la période traitée, le canal de Suez, c'est un passage obligé - mais les enjeux géopolitiques sont survolés par Milius, apparemment peu intéressé par ce sujet. Il semble surtout que ce dernier pousse la caricature et la bêtise des technocrates et des militaires exprès pour critiquer leur point de vue, et en tirer quelques scènes d'action (c'est limite du Indiana Jones meets Verhoeven dans la manière de traiter ces personnages). Par exemple, les deux invasions américaines, c'est du collector : rien à carrer d'avoir frôlé l'accident diplomatique à plusieurs reprises, l'instinct du cow-boy revient toujours au galop. D'un autre côté, cela permet de voir des batailles aux relents de Peckinpah. Par contre, la confrontation physique et psychologique (bien qu'ils ne se rencontrent jamais directement) entre les deux meneurs d'hommes est bien plus sincère (ce qui est pour moi le véritable sujet du film : deux gars authentiques perdus au milieu de cette mascarade politique). Le Président des E.U. s'entraîne comme s'il voulait dérouiller son adversaire, et témoigne parfois d'une grandeur d'esprit malgré ses airs de rustre (son discours sur l'ours). Et le chef berbère envoie à la toute fin une lettre qui résume magnifiquement leur relation, et explique le titre du film. De nombreux petits niveaux de lecture de cet acabit regorgent donc dans ce film, qui seront je pense davantage appréciés lors d'une prochaine vision.
En résumé, Le lion et le vent est un bon film d'aventures à mi-chemin entre Lawrence d'Arabie (pour son sens épique) et L'homme qui voulut être roi (pour son humour en demi-teinte), plus profond qu'il n'y paraît, tout en étant un pur divertissement doté de figures pittoresques.