De Marco Ferreri, tout le monde connaît La Grande Bouffe, truculente farce sur la société de consommation, huée lors de sa présentation à Cannes en 1973, et qui n'a rien perdu de sa charge provocante. Par contre on se souvient moins qu’un autre film du cinéaste italien avait déjà agité les esprits sur la Croisette, 9 ans plus tôt. C'était Le lit conjugal pour lequel Marina Vlady obtint un Grand Prix d'interprétation féminine contesté. Non pas à cause de la qualité de son jeu: au sommet de sa beauté, la comédienne française est extraordinaire en sainte-nitouche qui se mue en mante religieuse lubrique pour assouvir sa soif de procréation. La controverse résidait plutôt dans le fait qu'elle était doublée en italien et que certains estimaient qu'on ne pouvait donner un prix à quelqu'un dont on n'entend pas la voix. Une querelle similaire se reproduira d'ailleurs en 1980 lorsque Michel Piccoli et Anouk Aimée recevront conjointement le même prix d'interprétation pour leur prestation dans Le saut dans le vide de Marco Bellochio. Le lit conjugal, traduction stupide du titre original italien Ape Regina («La reine des abeilles»), raconte l'histoire d'Alfonso (Ugo Tognazzi, dans un rôle qui va le révéler au public francophone) un célibataire endurci qui se décide à épouser la belle Régina , une vierge effarouchée qui résiste d'abord à ses assauts prénuptiaux, avant de se transformer en bombe sexuelle, sitôt mariée. Une frénésie charnelle qui ne durera que le temps d'être fécondée, après quoi la belle abeille reléguera dans un coin son bourdon désormais inutile...
Religion, rapports de pouvoir, relations homme-femme, exploitation et exclusion des plus faibles: les thèmes et les obsessions que Marco Ferreri développera dans ses films ultérieurs figurent déjà dans cette excellente comédie à l'italienne, dynamitée de l'intérieur par l'humour grinçant du cinéaste. Renvoyant dos à dos féminisme et misogynie, Ferreri retourne les rôles, faisant du pauvre Ugo Tognazzi la victime expiatoire d'une société ultraconservatrice, placée sous le joug hypocrite du Vatican.
Critique écrite en 2009