Le dernier film en date de Godard, palme d'or spéciale à Cannes, est sans doute l'apogée de son cinéma, voire même l'apogée du cinéma. Il aura fallu quelque chose comme 130 ans pour arriver à ça, pour arriver à ce film.
Godard pousse à son paroxysme son idée du cinéma. Idée qu'il avait déjà développée en 1983 dans Scénario film Passion où montrait comment créer du beau par le montage. Il superpose les images, change la musique, les ralentis, change la colorimétrie, pour créer autre chose. Il fait un véritable collage cinématographique, où les bouts de films, de musiques, de vidéos, de pensées forment un tout uniforme, une œuvre nouvelle. Il lui faut puiser dans toute l'histoire(s) du cinéma pour faire son film. Il pille allègrement pour faire ce qui n'est pas un simple hommage, mais avant tout Le film, le seul, l'unique, celui qui fait la synthèse de ce qu'est le cinéma : l'émotion.


Il crée l'émotion de la manière la plus pure, sans personnage, sans véritable histoire (enfin il y en a une sur la dernière demi-heure, mais tellement éthérée que ce qui compte le plus c'est l'image), juste avec ses collages, il arrive à créer de la poésie. Il déstructure totalement le cinéma depuis le début des années 60, il réinvente à chaque film, sans se dénaturer, la manière de faire du cinéma, en essayant, en délaissant ce qui paraît essentiel à d'autres, en provoquant... et là, avec son film sans personnage, sans acteur, juste avec des images, il va plus loin qu'Histoire(s) du cinéma, qui bénéficiait encore de ses interventions face caméra, il va plus loin que les premières minutes de Notre musique où malgré le montage, le texte liait le tout ensemble... Ici il propose les images.


Certes il parle encore, un peu, étouffé... C'est beau... poétique...


Mais surtout il colle, il découpe... il arrive à créer quelques instants précieux de grâce absolue avant de couper brusquement, laissant un goût dans la bouche (et surtout les yeux du spectateur) de paradis perdu, de sensation d'harmonie parfaite entre des images, un texte, une musique, qui n'auraient jamais pu se rencontrer, qui n'auraient jamais dû se rencontrer et qui pourtant fonctionnent si bien ensemble, pendant un instant si fugace, si précieux.


On aimera, on n'aimera pas, peu importe, on est là dans l'histoire du cinéma. Après avoir révolutionné la 3D avec Adieu au langage, osant l'utiliser pour faire autre chose qu'un spectacle de foire, proposant de manière ludique de jouer avec la 3D, avec ses possibilité, filmant le champ et le contre champ et les diffusant en même temps. Permettant au spectateur de choisir de voir à sa guise le champ ou le contre champ. Là, encore une fois il propose une manière de faire du cinéma, il n'est pas là le premier à utiliser les images des autres pour les sublimer. Il y a fort à parier qu'il ne sera pas le dernier non plus. Mais comme Adieu au langage qui n'était pas le premier film en 3D non plus (et pas le dernier), il fera date. Il propose autre chose qui ne serait que poésie. L'avenir dira s'il était un génie, c'est à dire un précurseur rattrapé par les autres ensuite lui faisant perdre sa valeur car ils feront au moins aussi bien que lui, ou bien un apôtre, ne faisant que montrer la voie vers un autre cinéma que celui classique, morne, que l'on connaît tous que trop bien.


La poésie de Godard n'est pas vaine, il y a un message lorsqu'il propose une nouvelle version des 1001 nuits, où il propose un conte de Shéhérazade moderne en reprenant Une ambition dans le désert (un roman de Albert Cossery) qu'il illustre avec ses collages habituels de films, d'images de propagande de Daesh, faisant raisonner à la fois les 1001 nuits et le bouquin (qu'il me faut lire) comme infiniment modernes et actuels, décrivant parfaitement la situation au Proche et Moyen Orient.


Il résulte surtout du film une expérience personnelle, intime, qu'on a envie de garder pour soi, comme si les autres pourraient la souiller avec leur regard malpropre, je ne peux pas conseiller de le voir, vos yeux saliraient le film, souilleraient cette expérience intime, dont j'ai envie de garder la préciosité.

Moizi
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le 14 déc. 2018

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