Le Livre d'image par MrOrange

C'est prodigieux, le talent que JLG a de créer du si beau seulement à partir de montage et d'archive. C'est simple, il donne à sa chance à toutes les images, il leur donne une existence et une valeur qui, sans doute, n'existaient qu'en puissance dans les oeuvres d'origine. En plus, Le Livre d'image évite tous les pièges de ce que Valéry appelait le "problème des musées", le fait d'être une "maison de l'incohérence", le côté artificiel et gonflant de la juxtaposition d'oeuvres, de fragments. Mais ici, les images ne sont pas des enfants abandonnés de leurs mères, de leur matériau d'origine, au contraire, d'une certaine manière, Godard les ramènent de leur exil à leur patrie.

C'est souvent d'un impressionnisme qui est somptueux. Il me semble que Godard vient d'aboutir à une quête chez lui qui dure depuis presque un demi-siècle, faire un avec le monde, élire domicile dans le nombre, dire à partir de l'image, et c'est d'autant plus beau qu'à la fin, tout ceci prend une allure testamentaire, le vieil homme parlant difficilement, renâclant de la gorge, puis se résignant à se taire, après une heure vingt de métrage qui témoigne d'une conscience aigüe d'environ un siècle d'histoire, et au-delà. Un chant du cygne violent, plein de bruit et de fureur, mélancolique aussi, mais qui ne se clôt pas sur le désespoir, mais sur une sorte d'optimisme hugolien : les événements macabres n'épuisent pas les espoirs, la lumière est au bout du tunnel, les révolutions sont porteuses d'une annonciation que ne n'annule aucun fait. Quelle responsabilité morale Godard endosse pour ce qui est peut-être son dernier film à l'égard des générations qui lui succèdent !