Le 13ème apôtre
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Ceux qui ont vu son premier film sur Netflix, le western « The harder they fall », seront un peu moins dépaysés à la vision de « Le livre de Clarence ». Jeymes Samuel utilisait déjà un peu le procédé de l’uchronie, et plus particulièrement du révisionnisme historique, au profit des personnes de couleur mais sans aucune velléité malsaine ou contestataire. C’est-à-dire qu’il faisait comme si la conquête de l’Ouest s’était faite par le peuple afro-américain et comme si les blancs n’existaient pas ou peu. Une sorte de détournement de l’Histoire comme Tarantino les affectionne mais en plus poussé. Ceci dans le simple but du divertissement même si quelques piques envoyées avec parcimonie à nos sociétés contemporaines dénotaient une envie de discours politique. Ici, il va beaucoup plus loin. Ce qui rend son second film plus politique et il en remet une couche supplémentaire en tentant quelque chose de très audacieux. En effet, il va investir le terrain religieux : il propose ni plus ni moins qu’une relecture de la Bible et des Évangiles à la sauce Blaxploitation.
En osant une telle chose et surtout à une époque où on voit le retour du politiquement correct et des excès de wokisme, cela pouvait faire peur. Dans tous les sens du terme. Et bien Samuel parvient à être impertinent juste comme il faut et à ne pas rentrer dans des délires wokes trop poussés. Ici, il ne se moque pas vraiment de la religion mais nous offre à voir une Judée peuplée de personnes de couleur et nous rejoue certains des passages les plus illustres du Livre Saint pour les assaisonner à la culture black. Un projet ambitieux à tous niveaux (on sent aussi un budget conséquent) qui fait le grand écart constant entre sincérité, originalité et bouillonnement d’idées mais également maladresses et scories difficilement pardonnables.
Dans le rayon des bonnes surprises on peut noter l’appétence visuelle de Samuel. Pour la seconde fois, on se rend compte que le cinéaste n’est pas un manchot avec sa caméra et son film fourmille d’idées de mise en scène. C’est compilé à une reconstitution et une direction artistique de grande qualité (la ville de Matera dans les Pouilles offre un écrin parfait à ce péplum azimuté). La scène des lances sur Omar Sy par les centurions romains en est le meilleur exemple et c’est l’une des meilleures séquences du film comme celle de la crucifixion, très réussie, ou celle de la Cène, visuellement sublime. D’ailleurs, la plupart des meilleurs moments se retrouvent dans la seconde partie, plus captivante. Ensuite, la manière dont sont revisités des passages de la Bible est pertinente, bien vue et amusante. Enfin, dans le rôle principal, Lakeith Stanfield est épatant au point qu’on l’aurait bien vu en successeur de Chadewick Boseman dans les prochains « Black Panther ».
Néanmoins, tout n’est pas parfait dans « Le livre de Clarence ». D’abord, le mélange des genres passe plutôt mal. Si, au début, on est dans la gaudriole et la satire religieuse, le film se mue petit à petit en tragédie. Problème, le passage de l’un à l’autre se fait non sans peine et les efforts comiques annihilent l’éventuelle émotion recherchée sur la fin. Et la première partie censée être drôle pêche par un démarrage laborieux et de nombreuses longueurs. Le film enchaîne les ruptures de ton de manière trop récurrente, perdant ainsi l’adhésion du spectateur. Au final, c’est une œuvre peu commune et belle à regarder mais dont le fond est trop copieux. Une œuvre trop longue qui compile trop d’ingrédients et nous amène à une presque indigestion malgré de nombreuses fulgurances et prises de risques salutaires indéniables.
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le 2 avr. 2024
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