Nouveau remake à la chaîne d'un succès d'animation passé de la firme Disney, aujourd'hui obligée de ressortir du placard les réussites d'autrefois pour pallier au manque de qualité et d'originalité évident de ses productions actuelles. C'est bien là un paradoxe.
Le Livre de la Jungle façon Disney XXIème siècle a tout de même la chance de bénéficier d'un travail visuel réfléchi (en premier lieu tout du moins), de par l'utilisation du cinéma virtuel. En effet, seul Mowgli existe physiquement lors du tournage, la jungle et sa faune sera créée virtuellement, par image de synthèse. John Favreau (le réalisateur) avait donc pour objectif de filmer quelque chose qui n'existe pas encore (la jungle) en filmant Mowgli qui lui existe. Cela implique donc d'avoir une idée de ce qui sera créé, une vision artistique préexistante. Cela implique également de crédibiliser cette jungle, de la mettre en scène comme un univers existant, chose que l'on peut juger facile, au vu du fond mythologique de l'oeuvre d'origine (le texte de Kipling).
La vision artistique est là, il n'est pas difficile de remarquer la cohérence entre ce qui est filmé dans le studio (choix de cadrage et de mouvement de caméra), et l'univers créé synthétiquement. On regrettera une mise en scène un peu trop fonctionnelle, qui reflète indéniablement une peur du gigantisme de l'univers virtuel créé, la marque des réalisateurs qui ne savent pas complètement, avec aisance et sans crainte, se servir de cette technologie, qui si elle donne des prouesses chez certains, peut être plate et inintéressante chez d'autres. C'est un peu la cas ici. John Favreau fait preuve d'un savoir faire académique, surement bridé par Disney, mais qui l'empêche de tirer parti de toutes les possibilités du cinéma virtuel, qui le prive d'une mise en scène dynamique.
Malheureusement, il est facile de voir que rien n'est réellement filmer. La jungle existe, fourmille certes de par sa faune et sa flore, mais cela manque cruellement d'ambition. Il faut avoir une croyance absolue aux images pour voir autre chose que des images de synthèses. Celle ci sont magnifiques, sublimes, presque photo-réalistes, mais la jungle qu'elles fabriquent n'est pas concrète. Rappelons tout de même l'intérêt presque unique pour le film de la technique employée. Mowgli est donc le seul a existé physiquement sur le plateau. Dans l'histoire, Mowgli est le seul humain au milieu de ces animaux, de cette jungle étrangère aux Hommes, qui cherchent à la conquérir. Visuellement et physiquement, la forme fait sens avec le sujet. On ne pourra jamais reprocher à un réalisateur d'opter pour les images de synthèse dans une vision artistique (même si souvent plutôt industrielle et marketing), c'est ne l'oublions pas une façon comme une autre d'aborder le cinéma. Ce que l'on peut et surtout ce que l'on doit reprocher c'est l'utilisation qui en faite. A aucun moment la jungle ne se présente autrement que comme un cadre fantasmé, un lieu où tout est possible sans réalité géographique. On alterne les différents lieux sans liens, sans cohérence. On essaye, par la parole comme d’accoutumée dans le cinéma fainéant, de créer des zones géographiques qui n'existeront jamais à l'image. Il aurait été intéressant de montrer ce royaume jungle face au petit village humain. A aucun moment, l'humain intègre le cadre synthétique de la jungle. Mowgli en s'approchant du village lors d'une séquence observe des formes abstraites, des ombres que créé le feu, mais nous ne croyons pas au dialogue qui se crée entre le champ (Mowgli) et le contre-champ (le village des hommes). Le film enchaîne les paysages, comme il enchaîne les scènes, comme il enchaîne les péripéties, sans consistance. Obligation de se dépêcher (en 1h50 ce film ne peut se développer pleinement), d'enchaîner les situations comme un zapping. C'est bien là le mal de l'époque, entamé par la télévision et repris par internet, un flot d'images préexistantes sans réflexion et ne laissant pas au spectateur le temps de réfléchir. Il suffit de voir comment les scènes de discussion s'expédient en quelques secondes, ou comment les personnages marchent inexorablement vers une destination géographiquement indéfinie, la droite de l'écran, sans créer de hors champ. D'ailleurs Mowgli, gros défaut de faire jouer un si jeune acteur devant des fonds verts sans une bonne direction d'acteur, marche constamment de la même manière, stoïque et droit, comme un pantin perdu. Si le spectateur croient aux paysages vers lesquels ils se dirigent (uniquement en surface grâce au photo-réalisme des images de synthèse), lui en tout cas n'y croit pas. Cela est surement dû au piètre intérêt que semble porter Favreau à son acteur (involontairement surement), semblant plus faire confiance à ses paysages de synthèse, qu'à son acteur physiquement présent, la clé de l'identification à un univers factice. Pourtant Mowgli n'a le droit à aucun plan évocateur, aucun plan le mettant en valeur où créant de l'émotion.
C'est ce qui manque cruellement au film, une mise en scène de ses personnages, une création de conflits à l'image. Ainsi, le tigre Sher Khan sera filmé de la même manière que son ennemi le chef du clan des loups, filmé de la même manière que Baloo ou Baghera, de la même manière que Mogwli. Seul le roi Louie aura le droit à un traitement de faveur, caché dans l'ombre de son temple, c'est le seul personnage qui se détache des autres, le seul qui forme une véritable menace.
Le film manque donc de rythme dans le cadre, dans l'enchaînement des scénettes (difficile d’appeler ça des séquences) et confond souvent rythme et vitesse. Les chansons (présentes au nombre de deux et qui auraient largement pu disparaître) laissaient prévoir du dynamisme. Même une séquence "clipesque" aurait pu être salvatrice ! Non. Elles sont filmées platement, en plan fixe et ne servent donc en aucune manière le récit !
C'est la preuve du gros problème de ce film, et de beaucoup de film populaire américain ces derniers temps. Si les chansons sont là, c'est uniquement pour rappeler le dessin animé d'origine. Le film entier semble fonctionner paresseusement sur la préexistence du film animé des années soixante. Le spectateur est donc comme pris en otage par les références, les allusions et par son amour du dessin animé. Le divertissement naît de notre sympathie pour cet univers que l'on connaît. Ce n'est pas le cinéma qu'il y a dans Le Livre de la jungle (2016) qui importe, mais la reproduction du film d'origine dépourvue d'âme propre. Les jeunes enfants qui ne l'auraient pas vu, seront ils autant réceptifs ? Oui surement grâce à la beauté visuelle mais qui prouve que ce film n'est rien d'autre qu'une actualisation technique du film animé. Cette beauté visuelle couplée à cette préexistence du long-métrage d'animation fonctionne donc comme un syndrome de Stockholm nous poussant non plus à réfléchir à l'éthique de l'image, ni même au sensuel du cinéma, mais à admirer bêtement les scènes diapositives.
Le divertissement est donc là, mais pas le film. Se reposer sur une technique ne la fera pas avancer.
D'où la principale problématique : Fallait-il refaire ce film ? Si nous sommes Disney, la réponse sera affirmatif, il faut capitaliser le plus possible sur les réussites passées. Du point de vue du spectateur, la réponse dépendra de si le divertissement lui a suffit ou non. En tout cas ce n'est pas avec ce film que le critique ou le cinéphile pourra réfléchir au cinéma en image de synthèse.
Au final ce film manque de ce qui sépare les films sans grand intérêt des autres : une réflexion sur le cinéma couplé à une réflexion sur l'humain et son environnement. Ce film aurait pu faire les deux, mais il a préféré le domaine du livre à images. Et non pas son enchantement graphique, mais sa froideur télévisuelle.

Alexandre_Creti
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le 5 mai 2016

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