Polanski est définitivement le maître de l'étrange. D'un banal fait quotidien, un émigré petit bourgeois qui loue un appartement dans un immeuble cossu de Paris, le réalisateur fait surgir une atmosphère fantastique, torve, trouble. L'immeuble, décor banal du quotidien devient un labyrinthe de l'angoisse, la métaphore d'un esprit qui devient chaque jour un peu plus aliéné et malade.


Son propriétaire, homme bourru et terrifiant lui propose la chambre qui appartenait à une jeune femme, Simone Choule qui s'était défenestrée. Cette dernière, entre la vie et la mort, git à l'hôpital. Le jeune locataire - interprété par Roman Polanski lui-même, qui ne la connait pas, lui rend une visite et voit le spectacle horrifique de cette momie vivante qui se met à hurler. Il y croise une amie de la jeune femme, incarnée par la magnifique Isabelle Adjani. Le lendemain, Simone Choule qui avait voulu se suicider se tue. Pris de remords, le jeune Polanski est là, dans sa chambre, à recevoir les réprimandes de ses voisins qui jugent qu'il est trop bruyant. Le voilà qui marche à pas feutré et qui ne parvient pas à empêcher ce bruit si indésirable. Lentement, il met en lien cette intolérance au bruit du voisinage avec le suicide de l'ancienne locataire. Une évidence : ce sont eux qui l'ont poussée à mourir. Voilà que les visages passifs et bourrus des voisins deviennent démoniaques. Voilà que des complots et des guerres de voisinage s'opèrent. On se presse à la porte du locataire, il est constamment dérangé. Il est malade, fiévreux, suintant. Voilà que la paranoia s'imnisce dans son esprit. Il s'identifie de plus en plus à cette Simone Choule morte ici. Il se travestit, il se met à sa place, rongé par la solitude et son aliénation qui le rendent incapable de toute interaction sociale. Stella (Isabelle Adjani) tente bien de le sortir de là, s'offre à lui, et lui ne s'y intéresse pas. Le regard si bleu de la jeune femme ne parvient qu'à troubler davantage le jeune homme qui finit par croire qu'elle est aussi la complice de cette conspiration du silence. Il regarde la verrière par laquelle Simone Choule s'était jetée, il la contemple, comme une incitation au suicide. Il tente, deux fois, finit à l'hôpital et se voit venir se rendre visite à lui-même, moment où il rencontre Stella. Il est Simone Choule, sur son lit d'hôpital. Et en comprenant l'épouvantable schizophrénie qui le gagne, se met à hurler d'effroi.


Le film est étrange, de bout en bout, méandreux, comme si la folie qui gagne le personnage nous rongeait à notre tour, poison lent et pernicieux qui git dans les recoins sales et vétustes de l'immeuble parisien. L'atmosphère de huis-clos se fait toujours plus oppressante par un jeu de caméra et d'angle excellent. On ne comprend pas tout, les évènements prennent un tour absurde, incongru, avec parfois un humour grinçant, presque hors de propos mais terriblement cruel. Je n'ai pu me retenir de rire à l'apparition de Michel Blanc, Gérard Jugnot et Josiane Balasko dont la présence semble si incongrue. La fin est ouverte, elle ne suggère aucune interprétation. Elle ne montre que la folie, la paranoia, la schizophrénie. Reste au spectateur d'essayer de saisir l'illogisme de la maladie mentale.


Le Locataire a quelque chose du Horla, dans son fantastique trouble, dans sa thématique de l'aliénation, dans l'émergence au milieu de la banalité de la plus pernicieuse des folies. 100 ans plus tard, à quelques mois près, Polanski réinterprète le genre fantastique, en faisant une transposition cinématographique déroutante. Restent alors cette impression étrange, une fin absurde, dérangeante, une narration qui n'a pas de logique. Notre esprit se délite et s'effondre face à la folie. Le film est un coup de maître à ce titre. Polanski est définitivement le maître du fantastique, mais du fantastique européen, entre Kafka et Maupassant, entre La Métamorphose et le Horla.

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le 30 avr. 2016

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Tom_Ab

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