Après "l'Assoiffé" (ou "Assoiffé") commenté il y a un mois environ, voici le deuxième film du coffret Guru Dutt. Une petite nuance, ce film n'est pas réalisé par Guru Dutt mais par Abrar Alvi qui fut le scénariste de l'équipe Guru Dutt en particulier dans "Assoiffé". Dans "le maître, la maîtresse et l'esclave" ("Sahib Bibi aur Ghulam"), il tient le rôle masculin principal et en est le producteur.
L'histoire est tirée d'un roman bengali et se déroule à Calcutta ou dans ses environs à la fin du XIXème.
Boothnath est architecte sur un chantier de démolition des ruines d'un vieux palais et se souvient d'y avoir vécu plusieurs années auparavant. Arrivé alors de sa province, plein de candeur, il travaille dans une usine (de vermillon, la poudre rouge utilisée par les femmes hindoues) et loge dans ce palais. Sa gentillesse et sa serviabilité font qu'il devient le confident de deux jeunes femmes. La première, Jaba, est la fille célibataire de son employeur. La deuxième, Choti Bahu, est la jeune épouse d'un des maîtres du palais, complètement délaissée par son mari qui préfère aller boire de l'alcool au bordel et rentrer ivre mort.
Boothnath est un témoin de cette vie aristocratique qu'il va voir peu à peu sombrer. Il ne pourra empêcher Choti Bahu de se mettre à boire pour être au diapason de son mari afin de le reconquérir accélérant la décadence de cette famille aristocratique. Il ne saura pas voir que Jaba tombe sous son charme et se consume d'amour pour lui.
Spoiler : je ne dirai pas comment se termine l'histoire de Jaba et de Boothnath car c'est trop mignon …
Le film serait d'une banalité affligeante s'il se contentait de "mon" résumé … Il y a d'abord la musique et surtout les magnifiques chansons douces, amères et mélancoliques de Jaba pour exprimer son amour incompris et de Choti Bahu pour tenter de séduire son mari.
Il y a la beauté des deux actrices qui jouent Jaba et Choti Bahu. On retrouve ici avec un très grand plaisir Waheeda Rehman qui jouait le rôle de la prostituée dans "Assoiffé".
Elle est non seulement magnifique, avec un regard profond et surtout une voix divine (à faire fondre la pierre). À se demander comment Guru Dutt , dans le rôle de Boothnath, ne pouvait se rendre compte de rien !
Mais l'actrice qui joue le rôle de Choti Bahu, Meena Kumari, est loin de démériter non plus. La mise en scène de la préparation du personnage pour attirer son mari est extraordinaire d'une discrète sensualité. Là encore, difficile de comprendre le mari qui préfère se saouler en compagnie de prostituées alors qu'on dispose d'une telle femme prête à tout. C'est vrai que quand on a une belle-sœur qui professe (en substance) :"Ton mari est un homme issu d'une grande famille, il se doit de fréquenter des prostituées", on n'est pas loin e l'amour fou pour certains.
Et puis, ces deux histoires d'amour baignent dans toute une ambiance entre la domination anglaise qui n'hésite pas à tirer sur la foule, le patriarcat omniprésent, le statut des femmes, le système des castes.
Ici, Guru Dutt ne joue pas le rôle d'un poète incompris "assoiffé" de reconnaissance … Il joue le rôle d'un jeune homme dévoué qui découvre peu à peu la vie et ses pièges grâce aux deux femmes.
Film très intéressant, fourmillant d'idées et de situations insolites. Je suis certain qu'on peut revoir ce film, d'abord pour le plaisir évident de revoir les deux actrices, mais surtout pour découvrir des détails qui échappent au premier visionnage.