Une réflexion puissante et poétique sur la moralité humaine

"Le Mal n'existe pas", réalisé par Ryūsuke Hamaguchi, est une œuvre captivante qui interroge les notions de bien et de mal à travers une histoire profondément enracinée dans la culture japonaise contemporaine. À la fois poétique, philosophique et implacablement réaliste, le film explore les dilemmes moraux des individus confrontés à des choix impossibles. Hamaguchi, après son succès mondial avec "Drive My Car", continue d’approfondir sa réflexion sur la condition humaine avec un regard incisif et nuancé. "Le Mal n'existe pas" s’impose comme une œuvre magistrale, aussi belle qu’inquiétante, qui questionne notre perception du mal à travers des récits intimistes et une mise en scène sublime.


"Le Mal n'existe pas" s’articule autour de plusieurs histoires entremêlées qui explorent les facettes du mal dans la vie quotidienne. Le film nous plonge dans la vie de personnages ordinaires qui, face à des circonstances extraordinaires, sont amenés à faire des choix lourds de conséquences. Ces histoires, parfois disjointes, sont reliées par un fil rouge : la question de la responsabilité individuelle dans un monde où les lignes entre le bien et le mal sont souvent floues.


La narration éclatée, typique du style de Hamaguchi, permet de suivre différents points de vue tout en maintenant une cohérence thématique forte. Chaque segment du film fonctionne presque comme un court métrage indépendant, mais l’ensemble forme un tout cohérent qui plonge le spectateur dans une réflexion sur la nature humaine. Le réalisateur utilise cette structure pour montrer que le mal n’est pas un concept distant, mais une réalité complexe et omniprésente, souvent invisible à l’œil nu mais ressentie dans les choix quotidiens.


Les personnages sont profondément humains, dotés de failles, de doutes et de contradictions. Ils ne sont jamais réduits à des archétypes, mais sont dépeints avec une subtilité qui rend leurs actions compréhensibles, même lorsque celles-ci sont moralement ambiguës. Hamaguchi ne juge jamais ses personnages ; il les observe avec un œil empathique, cherchant à comprendre plutôt qu’à condamner. Cette approche rend chaque décision, chaque dilemme d’autant plus poignant et universel.


La mise en scène de Hamaguchi est d’une élégance remarquable. Il choisit souvent de longs plans-séquences, qui permettent aux scènes de respirer et aux acteurs d’habiter pleinement leurs personnages. La caméra, placée à une distance respectueuse, observe sans intrusion, capturant les moindres nuances des émotions des personnages. Cette approche quasi-documentaire confère au film une authenticité saisissante, où chaque geste et chaque silence pèsent lourd de sens.


L’utilisation des décors naturels est également un point fort du film. Hamaguchi filme le Japon contemporain avec une attention particulière à la beauté et à la violence qui cohabitent dans les paysages urbains et ruraux. La nature, omniprésente, devient un personnage à part entière, témoin silencieux des actions humaines. Les forêts denses, les rivières calmes et les espaces urbains oppressants sont magnifiés par une photographie superbe, qui traduit visuellement la tension entre la sérénité apparente du monde et le tumulte intérieur des personnages.


La bande sonore, discrète mais omniprésente, participe aussi à cette immersion. Les bruits du vent, de l’eau, des oiseaux ou des pas sur le gravier créent une ambiance sensorielle qui enveloppe le spectateur, accentuant l’impression de proximité avec les personnages. Hamaguchi utilise le son de manière subtile pour souligner l’émotion des scènes sans jamais en faire trop, laissant les dialogues et les silences parler d’eux-mêmes.


Les performances des acteurs de "Le Mal n'existe pas" sont d’une grande justesse et contribuent largement à l’impact émotionnel du film. Chaque acteur incarne son personnage avec une authenticité qui transcende l’écran, rendant leurs dilemmes et leurs choix profondément humains. Le film repose en grande partie sur la capacité des acteurs à transmettre des émotions complexes avec une retenue et une subtilité qui sont la marque de fabrique de Hamaguchi.


Les personnages principaux, bien que souvent pris dans des situations moralement ambiguës, ne sont jamais caricaturaux. Ils sont interprétés avec une sensibilité qui les rend proches du spectateur, même dans leurs moments les plus sombres. Hamaguchi dirige ses acteurs avec une précision qui laisse la place à l’improvisation et à la spontanéité, ce qui donne aux dialogues une fluidité naturelle et authentique.


Les interactions entre les personnages sont chargées d’une tension sourde, où le non-dit et le regard en disent souvent plus long que les mots. Ces échanges subtils, presque banals en apparence, révèlent peu à peu les vérités cachées et les conflits intérieurs qui les animent. Le talent des acteurs réside dans leur capacité à faire passer des émotions complexes avec peu de dialogues, juste par la présence, le regard et l’attitude.


"Le Mal n'existe pas" n’est pas seulement un film sur les actions humaines, mais une véritable réflexion philosophique sur la nature du mal. Hamaguchi interroge la manière dont nos sociétés définissent le bien et le mal, et comment ces concepts sont souvent relatifs, dépendants des contextes culturels, des situations personnelles et des pressions sociales. Le film ne propose pas de réponses simples, mais pose des questions troublantes sur notre capacité à juger et à comprendre les motivations des autres.


Les choix moraux des personnages sont souvent en décalage avec les normes sociales, ce qui amène le spectateur à s’interroger sur sa propre perception du bien et du mal. Hamaguchi montre que le mal peut être à la fois intentionnel et accidentel, conscient ou inconscient, et que ses conséquences sont souvent imprévisibles et irréversibles. Ce questionnement est renforcé par la manière dont le réalisateur entrelace les différentes histoires, créant un réseau de causalités et de responsabilités qui dépasse les individus pour interroger la société dans son ensemble.


Le titre du film, "Le Mal n'existe pas", est lui-même une provocation qui incite à la réflexion. Hamaguchi semble suggérer que le mal n’est pas une entité extérieure qui nous affecte, mais plutôt une construction humaine, le résultat de nos actions, de nos peurs et de nos faiblesses. Cette approche philosophique donne au film une profondeur rare, qui résonne bien au-delà de son récit.


Ce qui distingue "Le Mal n'existe pas", c’est sa capacité à allier une beauté formelle à un propos profondément inconfortable. Le film est esthétiquement sublime, avec une photographie lumineuse et une mise en scène épurée, mais il ne cherche jamais à apaiser le spectateur. Au contraire, il confronte le public à des réalités souvent dures et dérangeantes, sans jamais offrir de réconfort facile. Cette tension entre la beauté des images et la dureté des thèmes abordés crée une expérience cinématographique unique, à la fois envoûtante et perturbante.


Le film est également empreint d’une certaine lenteur, qui peut déstabiliser au premier abord mais qui participe pleinement à l’expérience proposée par Hamaguchi. Cette lenteur invite à la contemplation, à l’écoute et à la réflexion, rendant chaque scène plus intense et plus significative. C’est un film qui demande du temps, de l’attention et une ouverture d’esprit, mais qui récompense amplement le spectateur en lui offrant une œuvre riche et inoubliable.


"Le Mal n'existe pas" est un film magistral qui explore la complexité de la moralité humaine avec une rare finesse. Grâce à une mise en scène poétique, des performances d’acteurs exceptionnelles et une réflexion profonde sur le bien et le mal, Hamaguchi livre une œuvre dense et bouleversante qui ne laisse pas indifférent. Ce film est une véritable réussite, une expérience cinématographique qui questionne autant qu’elle émeut et qui confirme le talent unique de son réalisateur à capter les nuances de l’âme humaine.


"Le Mal n'existe pas" n’est pas un film qui cherche à donner des réponses, mais à poser les bonnes questions. Il invite le spectateur à réfléchir sur sa propre conception du mal et à se confronter aux dilemmes moraux qui jalonnent notre quotidien. C’est une œuvre puissante et nécessaire, qui rappelle que, derrière chaque acte, il y a des êtres humains avec leurs histoires, leurs failles et leurs contradictions.

CinephageAiguise
9

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il y a 3 jours

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