Avant de rencontrer Le Mâle du siècle, j'avais eu vent de sa réputation de chiotte, nourrie par Mr Berri lui-même d'ailleurs qui ne manquait pas de lui cracher au museau dans sa propre autobiographie. Pas de quoi me donner envie de courrir après et pourtant, j'aime beaucoup son travail, même ses films que je juge boîteux comme Sex-Shop. C'est quand j'ai acheté le coffret de l'intégrale de Claude Berri que j'ai décidé de me pencher sur son cas.
Le film que je mourrais d'impatience de voir, dans tout le lot, c'était La Première fois. Et bien, alors que ça fait bien un ou deux ans que j'ai le coffret, je ne l'ai toujours pas vu. J'en ai vu d'autres que je ne connaissais pas, revu ceux que j'aimais mais je me le garde, cette première fois. J'aime l'idée de convoiter un film. Le savoir à ma pogne et de le dégainer seulement quand je jugerai que c'est le moment. Je ne sais pas si ce sera le bon moment mais, ce sera notre moment, à tous les deux. Je ne sais pas si je lui plairait au film, et encore moins s'il me plaira mais j'aime faire durer le plaisir de l'attente, quitte sans doute à ne jamais le voir si je venais à casser ma pipe par exemple. Apprendre que jz sois rongé par un mal incurable me réveillerait pour sortir ma liste de films à voir absolument. Le Mâle du siècle n'en faisait pas parti mais comme je n'avais pas de cancer ou de tumeur en vue, je me suis plongé dedans.
Ce que j'aime le plus dans la vie quand je suis seul, c'est de marcher sans savoir où je vais. Je fais pareil avec les films. Là, je savais que je n'allais pas voir un bon film mais, ayant du mal à imaginer à quoi ce long-métrage pouvait-il réellement ressembler (quel type d'humour ? Comment l'histoire est-elle structurée ? Quelle photographie ? Quelle musique ?), une curiosité malsaine me piquait. Ma foi, il y a des mauvais films que j'adore mais, nottament à cause de Claude Berri dont je n'aime pas le jeu, je pensais vraiment ne pas y trouver mon compte.
Bref, je me lance dans le film sans conviction et, dès les premières minutes, sacrebleu, première bonne surprise : v'la t'y pas que Claude Berri, bah il joue bien. Ici affublé d'une improbable moustache, le bougre s'est dessiné une gueule de beauf sympathiquement détestable. Il se révèle impérial sous les orripeaux d'un ignoble mari jaloux, violent et, bien évidemment, armé d'une mauvaise foi remarquable. Claude Berri a l'intelligence de ne pas le jouer pour être drôle. Il l'incarne au premier degré et il laisse le recul des situations le rendre effroyablement amusant. Il joue très bien le désespoir et la torpeur dans laquelle sa jalousie le plonge. Mr Berri s'offre de beaux gros plans, en légers travelling avant, où son regard transpire parfaitement la tourmente qui le hante, sans un mot, tout dans ses yeux embués de larmes. Ce n'est pas l'angoisse de ne pas savoir si sa femme est en danger durant sa prise d'otage à la banque mais plutôt de l'imaginer en proie au syndrome de Stockholm qui l'émeut, le con. Et ça, ça me fait rire.
Berri explore le thème de la jalousie avec une truculence propre à la comédie italienne, celle de son âge d'or. Lui-même très jaloux dans la vie, Mr Berri parvient avec une sincérité et un recul désarmants à nous faire rire de ses propres névroses tout en offrant un très beau rôle à Mme Juliet Berto, qui joue de nouveau sa femme, à l'instar de Sex-Shop. Depuis son premier film, il ne réalise que des films intimistes, des autobiographies directes ou des transpositions de ses états d'âmes. C'est ici de nouveau le cas et je trouve cela si audacieux et facétieux de sa part de parvenir, un peu à la manière d'une auto analyse, à offrir au public une œuvre de pure distraction basée sur son profond mal-être tout en ayant conscience d'être absolument toxique pour son entourage, d'avoir l'intelligence de faire de sa femme une victime de ses torpeurs, cela prouve une fois de plus que Mr Berri est un grand artiste.
Le Mâle du siècle est la rencontre parfaite entre un metteur en scène et son acteur principal qui sont... La même personne. Mr Berri acteur - et c'est rare chez la plupart des acteurs/réalisateurs - tire profit des qualités de Mr Berri cinéaste, et vice et versa. La meilleure séquence du film par exemple, c'est un plan séquence, un long travelling sur Berto/Berri qui s'engueulent. La maestria du jeu de Mr Berri est mis en valeur par ce superbe plan séquence et ce même plan séquence permet de mettre en valeur le jeu renversant de Mr Berri.
Côté réalisation, Mr Berri - pour mon plus grand plaisir - poursuit son cinéma naturaliste. Peu de champ contrechamp, souvent des plans larges pour capter l'ambiance d'une époque, ici contemporaine. Par les costumes, les coiffures et les décors, ce film est une véritable plongée dans les années 70. Sous nos yeux se découvre un véritable trésor emprunt d'une nostalgie tout à fait délicieuse. Berri a vraiment ce don singulier pour restituer les époques qu'il met en scène grâce à ses plans larges et fixes qui permettent de dresser une peinture naturaliste du sujet qu'il filme. Ce qui lui permet, de surcroît, de donner la part belle aux comédiens.
Juliet Berto me bouleverse. Le cinéma français n'était pas à la hauteur de son talent. Même Claude Berri ne parvient pas à lui écrire un rôle à la mesure de son charisme, de ce qu'elle aurait pu nous offrir. Même quand Berri lui fait pousser les potars au maximum lorsqu'elle est prise en otage par exemple, elle s'avère pourtant et encore irrésistiblement juste. Juliet Berto, c'est une présence, ce charisme indéniable, cette beauté bouleversante barrée d'une moue insondable où une grande lassitude mêlée à une irrémédiable tristesse habitent un regard qui cache pourtant une malice dont on aimerait trouver la clef pour ouvrir ce qui doit être, à coup sur, une superbe coffret à trésors. Déja de son vivant, Mme Berto manquait énormément au cinéma français. Alors maintenant... Voila une comédienne/réalisatrice que j'aurais aimé voir vieillir, voire même rencontrer.
Mme Berto fait partie de la "bande à Berri" qui est lui-même un acteur avant d'être quoi que ce soit d'autre. Il aime donc s'entourer des mêmes artistes à qui si il sait écrire des rôles sur mesure et que j'ai beaucoup de plaisir à retrouver de films en films. L'inénarrable Hubert Deschamps incarne ici le copain de Mr Berri. Bien que ce ne soit pas un habitué de sa filmographie, ils reforment le même duo que celui du premier court-métrage de Pialat (et que Berri avait écrit) : Janine. Le Mâle du siècle en est donc une suite et leur numero de duettistes est toujours aussi savoureux et repose sur le même ressort comique : Hubert Deschamps est le vieil aigri revenu de tout tandis que Claude Berri joue les candides. Bon, il n'est plus tout à fait candide ici mais il croit encore en l'amour... Mais pas du tout en la femme, voire même en l'être humain tout court puisque lui-même s'avère... Infidèle. L'oeil de Hubert Deschamps est toujours à moitié fermé mais l'autre moitié demeure irrésistiblement ouverte sur un fatalisme goguenard. Son manque d'empathie et ses maladresses sont très amusantes, le contraste est donc parfait avec le personnage joué par Claude Berri. Le duo est insolite sur le papier et risible au possible sur la pellicule.
Concernant la distribution, comment ne pas évoquer le personnage de la mère de notre antihéros alors joué par... la propre mère de Claude Berri. S'il n'a pas eu le temps de diriger son père, emporté trop rapidement par une jaunisse, il aura eu celui de mettre en scène sa maman, ce petit bout de femme avec un charme renversant, qui est là pour faire plaisir à son fils. Elle ne joue ni bien ni mal, c'est simplement sa mère et puis c'est tout. Son personnage est très amusant, notamment quand elle confond des somnifères avec des pilules contraceptives qu'elle donne à son fils. Un gag à la Claude Zidi que Berri produisait et qui fonctionne à merveille, notamment grâce au naturel si rafraichissant de Mme Langmann/Berri.
La construction même du film est intéressante. On suit le braquage d'un côté, les turpitudes de Claude de l'autre, le tout entrecoupés par des scènes de flash-back. Très honnêtement, je le sens bien que les scènes de flash-backs sont présentes pour "remplir" le scénario car, visiblement, Berri n'est pas à l'aise avec la partie "braquage" de l'affaire. Il a préféré se concentrer sur son hero alors que son film aurait beaucoup gagné s'il développait d'égal à égal le rôle de la femme et de l'homme. Peut-être que si Mr Berri l'avait écrit avec une femme, il aurait pu développer ce que son héroïne peut ressentir lors de ce braquage, nourrir l'ambiguïté, ce qui aurait rajouté une tension dramatique non négligeable.
Mais voila, c'est un film qui m'a fait rire, qui m'a surpris par la virtuosité de tous ses comédiens comme par le naturalisme maitrisé de sa mise en scène. Le Mâle du siècle est donc désormais l'un de mes films préférés de Claude Berri, à tel point que j'ai désormais peur d'être décu par La Première fois... !