A Dakar, Ibrahim Dieng reçoit de la part du facteur un mandat de 25 000 francs CFA provenant de son neveu, qui travaille sur Paris en tant que balayeur. Seulement, il ne peut pas encaisser cette somme car il n'a aucun papier d'identité. Commence alors un parcours ubuesque pour prouver qu'Ibrahim existe.
Le mandat est un film important à plusieurs titres, déjà par le fait que c'est le le premier de l'histoire du cinéma à être parlé dans une langue africaine, à savoir le wolof (une des 21 langues nationales du pays !), celui parlé par Ibrahim et sa famille, qui vivent de manière traditionnelle, loin de la modernité qui arrive, lentement, à la fin des années 1960 au Sénégal. D'ailleurs, il a pas moins de sept enfants et deux épouses, la polygamie étant autorisée dans le pays, mais vit clairement dans le passé, sans parler français, ni lire ni écrire, et qui n'a aucun papier pour prouver son existence auprès des autorités. C'est également un cruel apprentissage de la vie que va faire Ibrahim avec l'arrivée de ce mandat, qui mettra fortement à mal son intégrité et sa confiance envers les autres. Au départ, il voit arriver cet argent auprès de son entourage qui, bien entendu, va lui soutirer quelques dizaines de francs ; après tout, sur les 25 000 qu'il doit avoir, ça n'est rien...
De par la nature des comédiens, tous amateurs, et le fait que ça se passe dans le Dakar de 1968, il se dégage un incroyable sentiment de véracité, où la séparation avec l'ancien et le nouveau monde est en train d'apparaitre, et Ibrahim apparait tel un ovni pour ces habitants, ainsi que pour l'administration. D'ailleurs, il est constamment en train de remercier au nom de Mahomet les gens qu'il croise, ainsi que ses épouses, qui lui sont entièrement dévouées, jusqu'à lui laver les pieds, et à lui faire à manger à un point tel qu'on dirait qu'il va vomir !
Il y a quelque d'Ubu et de Kafka dans cette histoire au fond cruelle, mais où le personnage d'Ibrahim, avec son habit de boubou qui dénote là aussi, est en-dehors des cases de la société moderne, qu'il ne peut pas y figurer, qu'il ait une pièce d'identité ou nom.
Tout comme Touki-Bouki, qui est l'autre film du Sénégal que je connaisse, Le mandat a été sauvé de l'oubli grâce à la Film Foundation de Martin Scorsese, et on se rend compte qu'il est encore contemporain, la difficulté face aux administrations, le choc des cultures, et c'est une grande découverte.