Le cinéma horrifique du muet ne se concentrait donc pas du côté de l'Allemagne avec des réalisateurs comme Murnau ou Wiene ("Le Dernier des hommes" et "Les Mains d'Orlac" sortaient la même année, en 1924) : il fallait compter avec Alfred Machin, même si l'auteur français qui était devenu célèbre à travers ses courts-métrages animaliers n'avait pas trouvé le succès dans cette incursion du côté de l'horreur expressionniste très légèrement fantastique.
Les figures classiques de l'épouvante sont là, avec le mystérieux et inquiétant étranger qui débarque dans le village, drapé dans sa cape noire, le manoir isolé sur la colline positionné juste derrière un cimetière abandonné qui laisse fleurir de grandes croix monumentales, et l'acolyte effrayant avec ses plans diaboliques. Je serais bien en peine de relier ce film étrange, qui fait intervenir un singe dressé pour voler et tuer, avec une quelconque autre œuvre qui lui serait contemporaine, dans le contexte du cinéma français. Les perspectives utilisées ne sont pas de l'ordre de celles du "Cabinet du docteur Caligari" (1920, 4 ans plus tôt) mais il y a tout de même une recherche de l'inquiétant dans les ruelles sombres du village provençal ou dans les couloirs de certaines habitations qui y font vaguement penser.
"Le Manoir de la peur" (aussi connu comme "L'Homme noir", en référence à la tenue de l'inconnu) aurait sans doute gagné en intensité s'il avait travaillé l'atmosphère mystérieuse qui régnait dans le village après l'arrivée de l'étranger et avant la révélation de l'envers du décor. Laisser du doute quant à la composante surnaturelles des événements. La terreur qui paralyse les habitants et le secret du manoir ne s'accompagnent pas d'un effet de sidération de grande ampleur — seule la séquence finale qui précède l'accident de train est dotée d'une certaine puissance immersive. Alors que le cadre était doté d'un potentiel austère et étrange très net.