American Race
On ne peut pas dire qu’on n’est pas prévenus : un biopic sur une victoire américaine par Ford contre Ferrari n’impliquait pas vraiment un traitement dans la dentelle. Deux fausses pistes laissaient...
le 18 nov. 2019
69 j'aime
8
« Le Mans 66 » ! Attention, article Top Gear ! Alors, là ! Par ma mustang, c’est vraiment MON FILM ! Mon film préféré de l’année et dans mon top personnel. Trois raisons thématiques :
Le portrait savoureux du visionnaire Carroll Shelby, ce pur fermier texan aux vies multiples, revenu à sa première passion, la course automobile, qui se lance, à la suite de problèmes cardiaques, dans la construction de « muscle cars » pour concurrencer Chevrolet et Plymouth, l’homme au chapeau et à l’Aston Martin n°5, l’homme des Cobra et des Ford du Mans ! Le mythe américain dans toute sa splendeur. Avec à son compte, la préparation des deux héroïnes de « Bullitt », la Mustang Fastback de Steve Mac Queen et la Dodge Charger.
La réplique étonnante de la non moins mythique Ford GT 40 MkII à l’ovale bleu de la course mancelle 66, star du film, mise au point par le tandem génial Shelby-Miles : reprise de l’originelle livrée bleue à bandes blanches, châssis monocoque, jantes d’époque interchangeables et étriers de freins Wilwood. Volant Motolita placé à droite, compteurs et sellerie en alcantara, conformes à celle de l’époque (je me gargarise). Et je ne parle pas du V8 8,4 L Roush 427IR 600 chevaux et transmission manuelle à 5 rapports. Suspension indépendante av/ar. L’une des deux répliques du film, la « hero car », sera à vendre en janvier…ouch ! Âge d’or de l’automobile américaine ! C’est cette réplique qui a été utilisée pour les plans serrés de la course finale. L’une des réussites du film, c’est qu’il n’y a pas de reconstitution 3D ! Quel bonheur ! Il y a vraiment des plans magnifiques !
La course du Mans et sa ligne droite des Hunaudières : le circuit de la Sarthe, classique de l’endurance, est à l’époque où Kennedy forme le projet d’envoyer un homme sur la Lune, l’étalon des courses automobiles, plus important que les circuits et les courses de F1. Mon père m’a filé son virus du Mans. Une autre réussite époustouflante du film : la reproduction des vieux stands du Mans, de l’ambiance des circuits des sixties, de la vie et de la fébrilité qui s’en dégage, des hommes et des machines aux corps mêlés. La photographie et le son sont hautement ciselés : les plans à hauteur de châssis et de route, la caméra à hauteur de pilote sont complètement immersifs, de même que les glougloutements rauques et sauvages des V8 des Cobras GT contre le hurlement inimitable des V12 Ferrari. Quel pied ! Je vous jure que j’ai piloté pendant tout le film, même si l’on sait bien que pour prendre de la vitesse, il faut pousser les rapports à fond, chercher la bande, et pas forcément s’exciter sur le levier de vitesse (dramatisation cinématographique de la course oblige).
Deux raisons cinématographiques :
La paire Damon-Bale ! Matt Damon est le mec ordinaire qui ne fait depuis longtemps que des trucs extraordinaires. Dans le film, il est encore une fois terriblement crédible en constructeur indépendant, amoureux de vitesse et d’aérodynamisme. Christian Bale mérite, lui, un Oscar, pour sa phénoménale interprétation du pilote anglais exilé sur la côte ouest, Ken Miles, le fort en gueule qui rhabille la Ford Mustang 65 sur son stand, (une scène géniale : « une voiture de secrétaire ! »), aussi à l’aise dans le cambouis et la mécanique haut de gamme qu’à bord de son cockpit. Les deux jouent, comme l’a dit Daniel Y., « une bromance qui vaut bien celle de Pitt-Di Caprio dans le dernier Tarantino ». Ils la jouent à l’oreille, aux tripes, à la prise d’air, au thé, aux petits bouts de laine, à la confiance partagée. Ils sont les deux Magnifiques, et le cœur battant du film autour de leur bagnole rêvée.
Le classique et hollywoodien James Mangold qui ficelle ses films avec efficacité mais profondeur, et déçoit rarement : « Vous n’ignorez pas l’importance d’un bon départ au Mans ! ». Mangold le dirait aussi : sa séquence d’ouverture est absolument remarquable. Matt Damon, le visage cerné et sale, tête casquée, lancé dans la nuit et la pluie aveuglante à bord de son Aston Martin DBR1 sur le circuit du Mans qu’il remporte avec Salvadori en 59. Se pose d’emblée la question des motivations d’un sport qui tue : « Quand tu passes les 7000 tours, la machine disparaît et tu n’es plus qu’un corps dans l’espace-temps ». Vitesse, fluidité et métaphysique. Quelque chose comme la recherche du rapport parfait entre la prise de risque, instinctive, viscérale, qui te fait sentir vivant, et la maîtrise réflexive et rationnelle de ton destin sur la sellette. Niki Lauda disait à peu près en ces termes (dans le magnifique « Rush » de Ron Howard) : « Le risque ne vaut que s’il est calculé ».
J’en reviens à Mangold et sa capacité à mêler efficacement plusieurs tableaux :
Entre la course du Mans 59 en ouverture et la course finale du Mans 66, apothéose dramatique logique et moment de vérité pour Miles-Shelby (de consécration pour Ford), Mangold brosse aussi le portrait d’un certain capitalisme, le portrait critique d’une industrie florissante qui délaisse la technique rudimentaire, le savoir-faire humain, le goût (qui a son prix) pour les belles choses, et entre dans l’ère du marketing et du test automobile assisté par ordinateur. La grande réussite du film est d’avoir su articuler ce portrait, l’histoire de Ford sous Henry Ford II (ère de Lee Iacocca et des babyboomers) et l’amitié du tandem Miles-Shelby : l’amitié, à la fois forte et dysfonctionnelle, entre les deux héros n’en est renforcée que parce qu’elle déplaît aux dirigeants de Ford et contrevient à l’image que la firme Ford made in Detroit veut désormais donner dans la concurrence. Quelques scènes d’anthologie, comme celle où Damon-Shelby parvient à contourner les nombreux intermédiaires pour s’entretenir directement avec Henry Ford dans son bureau, ou celle où Damon-Shelby séquestre le numéro 2, Leo Beebe, le temps d’enlever Henry Ford (génial Tracy Letts) pour un tour de circuit à hauts risques : "I was born ready, M. Shelby !". Des répliques de F1 et des dialogues secs au virage ! Jubilatoire.
Et puis aussi, le duel Ford / Ferrari. Une vraie vendetta en guise d’intention du film. Rivalité entre l’orgueilleux petit fils Ford, « une brute à la tête d’une usine grossière qui fabrique des voitures grossières et laides », et Il Commendatore, Enzo Ferrari, qui fabrique avec doigté et amour ses bijoux de luxe, et règne sur la course automobile de l’époque. La fiction cinématographique aide l’histoire vraie : quand Henry Ford II ne s’intéresse que de loin à la course et à ses coureurs, allant et venant en hélicoptère pour « apparaître », indifférent jusqu’à laisser Beebe déposséder Ken Miles de sa victoire au profit de la propagande Ford, on voit Enzo Ferrari vivre la course de bout en bout et soulever son chapeau à l’intention de Miles pour saluer son talent. Deux styles qui s’affrontent, tandis que Miles rêve à son tour de piste idéal : 3’30, the perfect loop devant la maquette réalisée par son fils. Car « Le Mans 66 », c’est aussi l’histoire d’une transmission passionnée entre un père et son fils, et l’histoire d’une « jolie famille ». Chez les Miles, les décisions conjugales se prennent à bord du break familial, piloté dangereusement par madame. Scène pas forcément utile mais chouette.
Ma scène préférée : celle où l’équipe technique de Shelby recouvre toute la surface de la carrosserie de la GT en construction de petits fils de laine pour mesurer la prise au vent du véhicule, après que Miles a déclaré, après deux tours de piste, qu’elle ne tient pas la route, que l’avant se soulève et que l’arrière n’a pas d’adhérence à l’accélération. Me revient une autre scène de « Rush » où Daniel Brühl-Niki Lauda explique à celle qui deviendra sa femme, qu’ « il sent la voiture avec son cul ». Effectivement, assis sur le siège passager, il lui fait un diagnostic complet digne de Speedy et Midas réunis sur le sous-gonflage du pneu avant-droit et le déséquilibre de la BMW, pourtant fraîchement révisée, qu’elle conduit.
Je n’aurai donc vu le film de Mangold que deux fois, à cause de « La reine des Neiges 2 ». La deuxième fois, j’ai choisi avec précision mon siège dans la salle, juste pour être, comme Bale-Miles, à hauteur de route. Accessoirement aussi pour éviter le genre de mecs venus en bande de potes pour un film de bagnoles. A la première projection, j’en avais à ma droite qui, à la fin, ont remercié, narquois, la « madame qui avait eu la gentillesse de bien vouloir accompagner monsieur ». Je les ai rhabillés vite fait à la Miles en leur précisant que la Mustang 65, c’était déjà possible avec un V8 : ça faisait bien 20 mn qu’ils me pourrissaient mon générique de fin en racontant des conneries sur les Ford.
Créée
le 9 avr. 2020
Critique lue 669 fois
5 j'aime
1 commentaire
D'autres avis sur Le Mans 66
On ne peut pas dire qu’on n’est pas prévenus : un biopic sur une victoire américaine par Ford contre Ferrari n’impliquait pas vraiment un traitement dans la dentelle. Deux fausses pistes laissaient...
le 18 nov. 2019
69 j'aime
8
Agréablement surpris, je me rends compte que j'aime bien les films de bagnole, jour de tonnerre, rush et maintenant ça... D'ailleurs j'aime la tournure que prend le film, vu le titre original Ford v...
Par
le 20 nov. 2019
52 j'aime
Il y a deux ans de cela, James Mangold faisait carton plein avec le phénomène super-héroïque de 2017 que l’on n’attendait pas autant après ses deux premiers spin-off : Logan, un film X-Men sur un...
le 9 nov. 2019
51 j'aime
1
Du même critique
Quand Alfonso Cuarón (qu’on ne présente plus) s’offre le luxe de recréer la maison de son enfance dans le quartier de Colonia-Roma à Mexico et d’y revivre presque une année entière, de 1970 à 1971,...
Par
le 5 avr. 2020
5 j'aime
Amin, sénégalais, et Gabrielle, française, se rencontrent, s'ouvrent l'un à l'autre dans une curiosité bienveillante et s'aiment un court instant. Une intrigue simple, resserrée dans l'espace-temps,...
Par
le 9 avr. 2020
3 j'aime
1
Qu'est-ce qui me vient au moment de résumer le premier western 100 % corned beef du français Audiard ? Un "Pourquoi j'ai mangé mon père" à l'époque du wild wild west. Comme dans le roman énauuurme de...
Par
le 9 avr. 2020
3 j'aime