« You're gonna build a car to beat Ferrari with... A Ford. » KEN MILES

En 2018, James Mangold est pressenti pour diriger un spin-off de l'univers Star Wars centré sur Boba Fett, sous la bannière des studios Disney. Toutefois, Mangold, visionnaire et passionné par des récits enracinés dans des rivalités humaines intenses et des quêtes de dépassement de soi, nourrit une idée bien différente. Plutôt que d’explorer une galaxie lointaine, il choisit de se pencher sur une histoire bien ancrée dans le monde terrestre : celle de la rivalité mythique entre Ford et Ferrari lors des 24 Heures du Mans de 1966.

Pour donner vie à ce projet, James Mangold s’appuie sur un scénario co-écrit par les frères Jez Butterworth et John-Henry Butterworth (Jason Keller sera script doctor). Ce script puise ses racines dans le livre Go Like Hell : Ford, Ferrari, and Their Battle for Speed and Glory at Le Mans de A. J. Baime publié en 2010. Le livre, riche en détails techniques et anecdotes sur le monde des courses, offre une toile de fond idéale pour une adaptation cinématographique.

En réalité, il s’agit plus d’adapter une histoire vraie, dans les années 60, Ford a décidé de concurrencer Ferrari dans le monde des courses d'endurance après que des négociations pour acheter Ferrari ont échoué. Sous la direction d'Henry Ford II et avec l'aide de Carroll Shelby, Ford a développé la GT40, une voiture conçue pour battre Ferrari. Ken Miles, connu pour ses compétences de pilote et ses connaissances techniques, a joué un rôle clé dans le perfectionnement de la GT40.

La course des 24 Heures du Mans 1966 a été un événement historique pour Ford. Trois équipes principales de Ford ont été engagées avec des versions améliorées de la GT40. Ken Miles, avec son copilote Denny Hulme, faisait partie de l'une de ces équipes. Pendant la course, Ken Miles a démontré une performance exceptionnelle. Il a dominé une grande partie de l'épreuve, montrant sa maîtrise de la voiture et son esprit compétitif. Cependant, Ford avait planifié un coup de marketing ambitieux : ils voulaient orchestrer une arrivée groupée des trois voitures Ford en tête pour marquer l'histoire.

Vers la fin de la course, Ken Miles était en tête, avec une avance suffisante pour remporter une victoire en solo. Cependant, les responsables de Ford ont demandé à Miles de ralentir pour permettre aux trois voitures Ford de franchir la ligne d'arrivée ensemble. Cela a été présenté comme une stratégie pour afficher la domination complète de Ford. Mais, en suivant cet ordre, Ken Miles a perdu la victoire. La voiture de Bruce McLaren et Chris Amon, qui était techniquement derrière Miles, a été déclarée gagnante en raison d'une règle technique. Le règlement stipulait que, dans le cas d'une arrivée simultanée, la voiture qui avait parcouru la plus grande distance (en partant plus loin sur la grille de départ) serait déclarée gagnante. McLaren et Amon ont été déclarés vainqueurs, et Ken Miles a été relégué à la deuxième place.

Quelques mois après Le Mans, le 17 août 1966, Ken Miles est mort dans un accident tragique lors d'un essai de la Ford J-Car, une voiture expérimentale conçue pour succéder à la GT40. L'accident s'est produit à Riverside International Raceway, en Californie. Miles a perdu le contrôle de la voiture à grande vitesse, et elle s'est écrasée, causant sa mort sur le coup.

Le script des frères Butterworth prend des libertés avec l’histoire réelle, notamment en exagérant les tensions autour des capacités de Ken Miles pour le rendre plus dramatique et accessible. Par exemple, le film montre un doute persistant de la part de Ford quant à l’aptitude de Miles à représenter la marque, alors qu’en réalité, ses compétences en tant que pilote et ingénieur étaient largement reconnues, bien que son caractère ait pu provoquer des frictions. Ces ajustements narratifs servent à intensifier l’enjeu dramatique et à renforcer l’arc de rédemption du personnage, le rendant plus captivant pour le spectateur. En cela, le film préfère privilégier une dynamique émotionnelle et un récit universel sur le dépassement de soi et la passion, plutôt qu’une stricte reconstitution des faits.

Le tournage de Ford v Ferrari débute à l’automne 2018 et le film sort en 2019. Ford v Ferrari s’impose rapidement comme un succès critique et commercial.

Bien que le film mette en scène des figures historiques marquantes incarnées par des acteurs talentueux comme Jon Bernthal, Tracy Letts ou J.J. Feild, le cœur du récit réside dans la relation complexe entre Carroll Shelby et Ken Miles. Cette amitié aussi chaotique que fascinante est le moteur émotionnel du film. Shelby, ancien pilote devenu constructeur visionnaire, est un personnage charismatique et chaleureux, tandis que Miles, pilote hors pair, se distingue par son tempérament ombrageux et son honnêteté désarmante. Leur complicité, malgré leurs différences, reflète leur passion commune pour la vitesse, l’ingénierie de précision et l’excellence en course automobile.

Christian Bale et Matt Damon incarnent avec brio ces deux personnalités contrastées. Bale, dans le rôle de Ken Miles, livre une performance vibrante, capturant à la fois le talent brut et la sensibilité de ce pilote unique, dont l’amour pour la mécanique est presque viscéral. Damon, quant à lui, apporte une humanité rassurante à Carroll Shelby, équilibrant les excès de Miles tout en partageant son obsession pour la victoire. Leur alchimie à l’écran donne vie à cette amitié tumultueuse, où les désaccords cèdent toujours la place au respect mutuel et à une volonté commune de repousser les limites.

James Mangold était attiré par le défi que représentait ce projet. D’une part, il s’agissait de raconter l’histoire d’une amitié forgée dans l’adversité, un drame humain riche en émotions et en conflits. D’autre part, il devait offrir au spectateur une immersion totale dans le monde des courses automobiles, où chaque virage est une bataille contre le chronomètre et chaque ligne droite une épreuve pour la mécanique. Mangold réussit à tisser ces deux dimensions avec fluidité, en mêlant dialogues poignants et séquences de course haletantes, plaçant le spectateur au cœur de l’action.

Les séquences de course sont le point culminant du film, une véritable expérience sensorielle. Grâce à des prises de vue dynamiques, des angles rapprochés et un montage nerveux, on ressent chaque accélération, chaque freinage et chaque risque pris par les pilotes. Le son est particulièrement remarquable : les rugissements des moteurs, les crissements des pneus et les chocs métalliques plongent le spectateur dans l’intensité des 24 Heures du Mans. Cette immersion est telle que l’on partage les émotions brutes des pilotes, comme si nous étions nous-mêmes à bord de ces bolides légendaires.

Le soin apporté à la réalisation technique du film n’est pas passé inaperçu. Ford v Ferrari a remporté deux Oscars en 2020, pour le Meilleur montage (Michael McCusker et Andrew Buckland) et le Meilleur montage de son (Donald Sylvester). Ces récompenses soulignent l’excellence technique du film, où chaque détail contribue à créer une tension et une authenticité inégalées.

Lors d’une scène mémorable, Henry Ford II, après un tour effréné dans la GT40 avec Shelby, est submergé par l’intensité de l’expérience. Ce moment, à la fois drôle et poignant, incarne parfaitement ce que ressent le spectateur après les courses : un mélange d’émerveillement et de vertige face à la puissance de ces machines et à la détermination des hommes qui les conduisent.

La musique de Marco Beltrami, assisté par Buck Sanders, accompagne subtilement les moments forts du film. Fidèle collaborateur de James Mangold (3:10 to Yuma, The Wolverine et Logan), Beltrami sait souligner l’émotion et l’intensité de chaque scène sans jamais écraser l’action. La bande-son, qui mêle des morceaux énergiques et des compositions plus introspectives, complète harmonieusement cette fresque sur l’amitié et la quête de vitesse.

Ford v Ferrari est bien plus qu’un film sur les courses automobiles ; c’est un hommage vibrant à l’esprit humain, à l’ingéniosité mécanique et à la passion qui transcendent les rivalités. Grâce à la réalisation maîtrisée de James Mangold, à l’alchimie exceptionnelle entre Christian Bale et Matt Damon, et à une technique cinématographique irréprochable, le film parvient à captiver aussi bien les amateurs de sport automobile que les spectateurs en quête d’un récit émouvant et immersif. Ford v Ferrari célèbre la quête de perfection et les sacrifices qu’elle exige, laissant le public aussi grisé et bouleversé qu’après un tour de piste à bord d’une GT40.

StevenBen
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