En une phrase : histoire d'un méprisé par ses proches qui choisit de se retirer de la vie plutôt que de vivre.
Début en coup de griffe : le légionnaire revient au pays, accueilli par sa mère. En 5 dialogues assénés sans fioritures avec toute l'inconscience d'une mère sûre d'elle-même et égoïste, on est plongé dans le mépris qui a servi de bain éducatif à cet homme : une mère qui n'a rien d'une mère laisse à un homme le sentiment d'un sous-homme. Même rythme rapide et directe ou presque avec la femme de cet homme, Hans, qui lui fait une scène sans prévenir. La haine est théâtrale, frontale et rapide. L'amour, par contre, y est long à se dire, "cinématographique" : la jeune femme à la fenêtre qui demande deux livres de poires ne dira son sentiment profond qu'à la toute fin, se contentant d'un parfum de plus en plus affirmé par quelques visites ou flash-backs.
Mais puisque la situation est trop bien établie, Hans, suite à une querelle familiale fait un infarctus. Sa femme décide de changer d'attitude envers lui. Il s'ensuit également un changement dans leur activité. Au lieu de tirer leur chariot de fruit comme des bêtes, de cours intérieures en cours cachées, il va falloir embaucher de l'aide : les choses vont marcher mieux que prévues. L'Allemagne des années 50 repart. Mais voici que Hans a du temps libre et avec l'aisance financière vient aussi du temps pour penser. Une chose qu'il n'a jamais connue et une chose qu'il n'a jamais faite. Une sorte de spleen s'empare alors de Hans, de torpeur devant cet univers ouvert et nouveau : il sort du monde mentalement, se pose à la fenêtre, prostré, ou se met devant le fleuve comme pour partir avec lui.
Fassbinder saisit là encore dans le mouvement de son film et introduit dans le flux de sa mise en scène une de ses images quasi picturales, une sorte d'arrêt de la mémoire et de condensation de l'émotion. Que ce soit les larmes d'Irmgard, sa femme, pleureuse de porcelaine, la prostration de Hans à sa fenêtre ou au volant de son combi Volkswagen, les figures menaçantes et figées de sa famille autour de lui, Fassbinder semble raconter quelque chose de lui-même et avec ces figures d'arrêts dans le mouvement, il passe une douleur magnifique et simple.
Malgré un acteur qui force parfois un peu, le scénario et la mise en scène délivrent alors une telle humanité, où le désir de vivre se fait soudain trop faible. Et lorsqu'un ami légionnaire reparaît, sans que ce soit dit et peut-être même sans qu'il se le dise à lui-même, Hans a trouvé la solution pour lui-même. Il a trouvé celui qui allait le remplacer : celui qui allait être le mari de sa femme, le père de sa petite fille et le gérant de ses affaires. Et, à la suite de l'enterrement de Hans, il répondra "OK" aux solutions qui s'imposent également à l'imagination et au désir d'Irmgard, encore veuve.
Une trouvaille de montage et de narration :
Hans, au café, raconte à ses copains de beuverie une histoire de femme, comment il a perdu son poste de policier à cause d'une femme qui l'a séduit alors qu'il était en poste. On passe en flash-back, on voit la scène. Mais au lieu de revenir à Hans de façon abrupte et directe, on reprend Irmgard qui, au téléphone, cherche son mari et qui finit par appeler le café où il est en train de finir son récit.