Lorsque arrive la séquence au cours de laquelle Annie Girardot, une femme à la pilosité déréglée (une conséquence de l'hypertrichose, un dérèglement hormonal dont "femme à barbe" paraît être un sacré euphémisme tant on est proche du pelage animal : le titre italien se traduit d'ailleurs "La Femme singe"), se produit sur scène dans un numéro de strip-tease très dérangeant mêlant érotisme sulfureux et exploitation de freaks, on se demande dans quel cerveau étrange a bien pu naître une telle idée de scénario. Mais l'essentiel est là : Ugo Tognazzi et Annie Girardot, dans les rôles respectifs d'Antonio et Maria, soit un petit escroc fourbe et vénal exploitant une pauvre femme anormalement velue qu'il trouva cachée au fond de la cuisine d'un couvent, forment un couple incroyable.


Marco Ferreri, dans une période infiniment plus sobre que celle de La Grande Bouffe, parvient à trouver une position d'équilibriste entre comédie et tragédie, les deux composantes se relançant et se répondant sans cesse. Il est beaucoup question d'exploitation humaine, puisque Antonio n'hésitera pas un instant à utiliser la particularité de Maria à dessein, au sein d'un triste spectacle forain qui pourrait rappeler le cirque de Freaks — dans une version beaucoup plus soft. Leur relation n'évoluera qu'au gré de l'aliénation de Maria et des compromissions successives. Elle, réticente dans un premier temps, se laissera séduire par cet homme qui posera pour la première fois un regard dénué d'horreur (il s'agit en réalité de cupidité), un signal qu'elle interprète comme de la gentillesse, chose qu'elle n'avait jamais ressentie auparavant. Lui ne reculera devant rien afin de maintenir opérationnelle son entreprise très lucrative : s'il faut coucher avec cette "femme singe" puis envisager un mariage pour la garder près de soi, ainsi soit-il. Sur le ton de la comédie, Ferreri brosse le portrait effrayant d'un homme avide et de son emprise sur sa créature. Il exploitera jusqu'à la fin l'amour que cette femme lui témoignera, et il ira jusqu'aux cabarets parisiens pour faire fructifier sa chose sur les conseils d'un impresario français, avant de reprendre les corps embaumés de sa femme et de sa propre progéniture, devenus pièces de musée, pour un ultime numéro d'exhibition.


La séduction comme moyen d'obtention du consentement : derrière la comédie, loin du mélodrame larmoyant, le message est d'une abominable cruauté.


http://www.je-mattarde.com/index.php?post/Le-Mari-de-la-femme-a-barbe-de-Marco-Ferreri-1964

Créée

le 27 juin 2019

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Morrinson

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