Costumière de son état, Rosa (Candéla Peña) gère difficilement une vie qui part en lambeaux, lacérée par sa trop grande générosité. Très sollicitée par son métier, elle se montre également très secourable auprès de son frère Armando (Sergi López, toujours réjouissant), qui, séparé de sa femme, n’hésite pas à recourir à Rosa pour garder ses deux jeunes enfants, et de sa propre sœur Violeta (Nathalie Poza), cadre excentrique un peu trop portée sur la boisson ; sans compter ses voisins et amies, qui lui confient plantes et chat en leur absence ; et sans oublier son propre père, Antonio (Ramon Barea), veuf depuis deux ans, et qui se met à vouloir faire de sa fille sa dame de compagnie et sa logeuse… Le cauchemar qui ouvre le film dit clairement le malaise de Rosa devant cette course folle et la révolte qui s’installe, à voir sa vie lui échapper ainsi, alors qu’elle a passé l’âge d’obéir, ayant atteint les quarante-cinq ans.
Grâce à un chromatisme chatoyant, au montage dynamique de Nacho Ruiz Capillas et à la musique enlevée de Vanessa Garde, cette phase d’exposition n’a rien de larmoyant et semble promettre au contraire une salutaire réaction, qui paraît plus que nécessaire, d’autant que les projets familiaux, aussi bien fraternels que paternels, annoncent comme innocemment un resserrement de l’étau et brillent par leur égoïsme.
Le craquage prend la forme d’un largage des amarres, mais aussi d’un retour et d’une suture avec le passé, et notamment avec l’héritage maternel : Rosa quitte Valence et retourne vers Benicàssim, où se trouve le modeste atelier de couture qu’y tenait sa mère ; elle entend le réouvrir et, portée par son sens de la création, le conduire vers le succès grâce aux robes fantasques qu’elle confectionne (bravo au talent de Giovanna Ribes, en l’occurrence !).
Mais la réalisatrice Icíar Bollaín, secondée au scénario par Alicia Luna, franchit le pas qui tout à la fois donnera son titre au film et risquera de perdre certains spectateurs. Pour parachever sa démarche d’affranchissement et de réconciliation avec elle-même, son héroïne décide de se marier… avec elle-même ! Cet anticonformisme de bon aloi se fracasse toutefois les dents si l’on considère que se trouvent là mis en application jusqu’à la caricature les préceptes d’une fin de cure analytique : recentrer son existence sur soi-même, ne plus se dévouer aux autres, penser à soi, s’aimer soi-même, ce qui permettra d’accéder à une souveraine (et heureuse ?…) indépendance, une bienheureuse (et réjouissante ?…) autosuffisance. Les derniers plans montrant Rosa, après qu’elle a signifié une saine coupure à son vieux père, baisant ses propres avant-bras sur la plage où elle a décidé de célébrer son union avec elle-même apparaissent ainsi moins comme fous et iconoclastes que comme sagement dictés par une resucée trop appliquée de certaines leçons psychanalytiques tristement raisonnables.